En dépit de gros moyens déployés par le Niger, le Burkina Faso et le Mali, la zone dite des trois frontières demeure dans une insécurité quasi permanente. Il ne se passe pas un jour sans que ne parviennent dans cette partie du monde, de mauvaises nouvelles. Assassinats en masse, meurtres, viols, vols et autres exactions sont au quotidien des populations (civiles et militaires) qui côtoient au quotidien les forces du mal. Au Niger, le pays qui fait preuve d’une grande résilience contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne, la dernière attaque d’envergure perpétrée contre les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) a été enregistrée le 10 février dernier et a causé la mort d’au moins 10 militaires tombés ainsi au champ d’honneur (sources officielles). L’avant dernière attaque de cette ampleur dirigée contre les FDS Nigériennes remonte au 14 juin 2022. Elle avait occasionné la mort de 8 gendarmes. Quelle est la situation sécuritaire dans la zone dite des trois frontières ? Situation, défi et stratégie pays par pays…
Le Mali, ses colonels et son Wagner
Côté malien, épicentre de la menace terrorisme, en dépit des efforts des autorités militaires de la transition, la situation sécuritaire est loin d’être reluisante, pour ne pas dire qu’elle est catastrophique, si l’on se fie aux informations en provenance du Nord et du Centre du pays.
Au Nord, la non-application l’accord de paix d’Alger de 2015 vient compliquer l’équation de l’unification du pays et par conséquent la lutte contre le terrorisme. En effet, les mouvements signataires de l’accord de paix d’Alger menacent de déterrer la hache de guerre quand du côté de Bamako, également, des voix commencent à s’élever pour demander une intervention des Forces Armées Maliennes (FAMA) à Kidal pour reprendre le contrôle de cette partie du territoire qui jouirait de la protection de l’ancienne puissance colonisatrice, à savoir, la France (désormais ennemie jurée des colonels de Kati).
Le Nord du Mali, frontalier avec le Niger, faut-il le souligner, est depuis plus d’un an le théâtre d’une guerre de conquête territoriale à laquelle se livrent les principaux groupes terroristes implantés dans cette partie que sont le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) ou JNIM (son sigle en arabe) et l’Etat Islamique dans le Grand Sahara (EIGS). D’après des sources locales, cette confrontation entre ces deux groupes rivaux prend de plus en plus une connotation intercommunautaire.
La preuve, une alliance de circonstance entre le JNIM sous le leadership d’Iyad Aghali, chef terroriste proche d’AQMI (Alqaida au Maghreb Islamique) et la GATIA (Groupe d’Autodéfense Touaregs, Imghad et Alliés sous l’influence du Général Ag Gamou (officier supérieur de l’armée régulière) serait, de plus en plus, en train forme en vue de chasser l’envahisseur (EIGS) accusé de se livrer à une véritable épuration ethnique. La fusion des mouvements rebelles, signataires de l’accord de paix d’Alger, aurait pour objectifs, non seulement de monter les enchères face à l’intransigeance de Bamako à mettre en application la feuille de route pour un Mali unifié mais aussi de protéger les populations du Nord qui vivent sous la menace d’un « génocide ».
Dans le centre du Mali, l’inquiétude reprend sa place. C’est ce qui ressort du communiqué de Youssouf Toloba, chef d’Etat-major du groupe d’autodéfense DAN NAN AMBASSAGOU, en date du 5 février 2023. Dans ce communiqué, cette milice dogon, note le retour de l’insécurité, dénonce l’incapacité des autorités maliennes de la transition à assurer la protection des populations et donne un ultimatum, d’une semaine, à partir de son communiqué, auxdites autorités, de reprendre le contrôle de la situation, faute de quoi, elle reprendra le sentier de la guerre, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer.
Quand on se rappelle des représailles du groupe d’autodéfense DAN NAN AMBASSAGOU et les atrocités qui découlèrent de sa réaction face aux attaques perpétrées contre les siens par des éléments armés qu’il a identifiés comme appartenant à la Katiba Macina d’Amadou Koufa (autre leader du JNIM), il y a lieu de craindre à nouveau une implosion communautaire.
Achats de matériels de guerre, renforcement des capacités aériennes de l’armée, départ de la France, coopération avec la Russie, mercenaires de Wagner, montée en puissance des FAMA, pour obtenir ce cocktail très explosif ! Quel gâchis !
Le Burkina Faso et ses VDP
Le Burkina Faso ne présente pas une situation plus reluisante que son voisin du Nord (Le Mali). Pour mesurer l’ampleur de l’insécurité au Pays des Hommes Intègres, suivons le témoignage de cette dame amenée fréquemment à faire la navette entre Niamey et Ouagadougou pour des activités de commerce : ‘’ Je suis toujours passée par la route. Je n’ai pas les moyens pour prendre l’avion.
Je vis de mon commerce, d’où le risque que je prends pour faire la navette par bus. La menace est là, permanente. Que pouvons-nous faire que de la subir ? Nous sommes désarmés. Une fois la frontière franchie du côté burkinabè, aussi bien axe Kantchari que celui de Dori, c’est le territoire sous contrôle terroriste.
La connaissance de la langue majoritaire de la zone (le fulfulde) est un atout. Comme j’ai l’accent, je passe facilement. Gare à celui qui peut paraitre étranger. Une fois, cette zone traversée, on arrive chez les VDP (Volontaires pour la Défense de la Patrie). Ici également, vous êtes soumis à un traitement similaire que le précédent: fouilles, test insidieuse de la langue. Pour moi pas de problème, car l’accent du dialecte du terroir, je l’ai aussi.
Bien entendu, les dérapages sont quasi quotidiens. C’est après ces deux étapes qu’on commence à sentir la présence des Forces de Défense et de Sécurité du Burkina Faso.
Les nouvelles en provenance de la localité de Djibo (province du Soum, région du Sahel) soumise depuis plusieurs mois à un blocus terroriste viennent pour confirmer la situation sécuritaire délétère contée ci-dessus avec forts détails.
‘’L’alchimie VDP’’, le départ des forces spéciales françaises de l’opération Sabre, le recours à la coopération militaire russe vont-ils réussir à changer la donne sécuritaire du pays et libérer les populations civiles des exactions des groupes terroristes ? Les jours à venir nous édifieront.
Le Niger et sa relative résilience
Venons au Niger pour signaler l’afflux continu des réfugiés maliens fuyant les combats entre les deux groupes terroristes rivaux. « Les populations vont là où la situation qui les attend est meilleure à la leur » ; Dixit un humanitaire intervenant dans la région de Tillabéri ayant requis l’anonymat sur sa personne et son organisation.
La destination du Niger est donc la plus fréquentable comparativement à ses deux voisins (le Mali et le Burkina Faso) quoique le pays de Mohamed Bazoum soit également sous pression terroriste, notamment dans la région du fleuve (Tillabéri) où les populations situées le long des frontières vivent sous la hantise des exactions et atrocités de l’EIGS et du JNIM et leurs suppôts locaux.
Tout de même, il faut noter qu’ici, jusque-là, dans aucune localité, un quelconque drapeau terroriste n’a flotté. Autrement dit, le Niger veille à l’intangibilité de ses frontières. Difficilement d’ailleurs, au regard de la porosité des celles-ci (Niger-Burkina, Niger-Mali) qui s’étalent sur pratiquement 1500 kilomètres. Comment mettre en place une ceinture sécuritaire efficace de ce côté-là où se présentent des vastes territoires à perte de vue sanctuarisées par les groupes terroristes ?
C’est là toute l’équation que les autorités nigériennes essaient de résoudre depuis plus d’une décennie. La stratégie du Niger repose sur l’augmentation des effectifs son armée, la formation de ses forces de défense et de sécurité en forces spéciales adaptées à la lutte contre le terrorisme, le renforcement et la modernisation de son équipement militaire, l’appui de ses partenaires traditionnels (occidentaux) en renseignements et dans les opérations de terrain et l’organisation des fora et autres rencontres en vue de renforcer la cohésion inter et intracommunautaire à travers des campagnes de sensibilisation, sans oublier quelques rares actions de développement freinées le plus souvent par l’activisme terroriste.
La stratégie du Niger et son option de maintenir intacte sa coopération militaire ayant permis au pays d’être moins affecté par le terrorisme que ses deux voisins (Mali et Burkina Faso) peuvent-elles résister aux incursions répétitives de l’EIGS et du JNIM et aux assauts d’une communication outrancièrement anti occidentale vraisemblablement manœuvrée depuis le Kremlin qui ne manque de soutiens solides ? Toute la question est là !
OUMAROU KANE