Le peuple soudanais est pris, depuis le 15 avril 2023, entre le marteau et l’enclume du gouvernement dictatorial légué par leur ancien président Oumar El-Bachir. Les deux factions des forces de Sécurité et de défense qui ont conjointement mis fin au gouvernement semi-civile de transition, du régime dictatorial au démocratique, se sont mis au duel à l’interne.
Les forces armées Soudanaises (FAS) dites régulières renient désormais la légitimité des Forces de Soutien Rapide (FSR). Ces forces parallèles qui évoluent pendant les années du pouvoir de El-Bashir, une véritable milice dénommée les « Jan-Jawide » aux forces spéciales de maintien de la paix avaient pour principal objectif la stabilisation du Darfour, une région en conflit pendant des années.
La cause principale de la guerre entre les forces armées soudanaises (FAS) et les forces de soutien rapide (FSR) est le désaccord sur le calendrier d’intégration de cette milice FSR au sein des forces armées régulières. Selon les médias, le régime en place dont les FAS proposent une période de dix ans pour mener la transition alors que les FSR en veulent deux seulement.
Les négociations entre le président El Burhane des FAS et son vice des FSR n’ont pas pu prévenir le langage des fusils. Les FSR avec un effectif d’autour de cent mille (100.000) combattants se livrent aux combats contre les FAS sur toute l’étendue du territoire national soudanais.
En réalité, l’insurrection des forces non gouvernementales contre un régime en place n’est pas étrangère à l’Afrique. L’histoire se rappelle bien des milices du président Idriss Deby au Tchad en 1990, du président Paul Kagamé au Rwanda en 1994 ou du cas de Joseph Désiré Kabila dans l’ex-Zaïre, l’actuelle République Démocratique du Congo, en 1998.
Le succès de ces forces milices provient le plus souvent des soutiens qu’elles reçoivent de l’extérieur, comme le cas actuellement au Soudan, d’où les FAS sont soutenues par le Royaume de l’Arabie Saoudite et les FSR par les Émirats Arabes Unis pour ne citer que cet exemple. Ces milices s’attaquent aux armées gouvernementales qui, une fois sur la balance des standards des forces militaires se veulent des caricatures militaires que des forces standards de défense.
Parmi les forces armées africaines, selon les standards internationaux et les sciences militaires, seules quatre (4) sur les 54 que possèdent les États nations sont dignes d’être des forces militaires aujourd’hui. Il s’agit notamment de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de l’Égypte et du Nigéria. Les forces armées de ces quatre États remplissent bien les variables déterminantes des forces militaires, la doctrine militaire, le suivi de carrière, les logistiques, etc. Cependant, seule l’armée tunisienne peut être aussi considérée comme une des armées la plus républicaine du contient africain.
Car elle a bien démontré ses valeurs républicaines en rejetant le pouvoir politique après la fuite du président Ben Ali vers l’Arabie Saoudite, lors du Printemps Arabe en 2011.
Une force est dite spéciale lorsqu’elle présente, en plus des caractéristiques militaires traditionnelles, d’autres extra-caractères qui manquent aux formes armées nationales, prises individuellement.
Autrement dit, une force spéciale est la combinaison de toutes les forces armées en un seul corps. Elle est parfois qualifiée d’Armée-Elite et échappe au contrôle du Chef d’État major des Forces Armées. Elle se veut « une Armée des Forces Armées » d’une nation qui assure la pérennité du régime en place et ne prend des ordres que de la présidence. Ce privilège d’être au-dessus de la loi, du moins d’échapper aux provisions des textes régissant les forces armées, d’autant qu’il donne du pouvoir sans limite aux forces spéciales.
La notion de l’Armée Spéciale n’est pas étrangère à l’Histoire militaire. Le Japon impérial en est une référence par excellence. L’empire japonais, en plus des forces régulières et la garde impériale, avait une force spéciale connue sous l’appellation de « NINJA ». Les NINJA formaient un corps distinct des forces armées qui est directement sous le commandement de l’empereur.
Ses combattants étaient redoutés par leur art de combattre et des logistiques létales à leur disposition. Cette disposition de force spéciale orientale fait aussi écho en Afrique précoloniale.
Les sociétés africaines avaient des institutions militaires bien organisées. Cependant, les forces spéciales, contrairement à celles du temps moderne, faisaient partie de la garde royale. Par exemple au pays du Kasar Hausa, la garde royale ou Dogarey Sarkin est composée des combattants réguliers et spéciaux. Les militaires spéciaux sont des invincibles et possèdent certains pouvoirs mystiques spécifiques.
Ils ont parfois des tâches spécifiques qui leur sont propres. Ce type de garde royale précoloniale est toujours maintenu dans le Royaume de Rey au Nord Cameroun. Le Royaume de Rey fait partie de l’Empire de l’Adamaoua avant la colonisation.
Il se trouve aujourd’hui dans la région administrative du Nord au Cameroun et s’étant de Tcholliré jusqu’aux frontières Cameroun-Tchad et Cameroun-République Centrafricaine. Le royaume maintient toujours une armée royale bien organisée et participe à assurer la sécurité dans le royaume.
Les leaders politiques postcoloniaux ayant vu la situation des coups d’État qui ont renversé les premiers dirigeants ont développé des forces spéciales, voire des milices pour assurer leur propre sécurité. Les éléments de ces forces sont souvent tirés des forces régulières et parfois sur des considérations ethno-religieuses ou souvent recrutées du public. Dans d’autres cas rares, des mercenaires sont employés, comme en République Centrafricaine où les mercenaires de Wagner et les troupes rwandaises assurent la sécurité de la présidence de la République ainsi que de la capitale Bangui.
Les milices ou forces spéciales prennent différentes appellations, qui varient d’un État à un autre, la Garde Présidentielle (GP), le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP), la Brigade d’Intervention Rapide (BIR), voire le Régiment Étranger (RE). Quelle que soit l’appellation de ces forces, l’objectif reste le même.
Il vise à protéger le président de la République, à assurer sa pérennité au pouvoir et parfois lui faire des ‘’sales boulots’’. Les forces spéciales sont majoritairement limitées en effectif mais demeurent quand même le corps le plus armé et le plus formé militairement de l’État nation. Leurs arsenaux de dernière génération, leur permettent de neutraliser tous les différents corps des Forces de Défense et de Sécurité (SDF) mis ensemble.
Plusieurs experts en sécurité sont unanimes que la BIR au Cameroun peut tenir contre les forces armées régulières pendant six mois, sans solliciter ni des munitions ni des ressources humaines additionnelles. La forteresse de BIR autour du président Paul Biya lui a permis d’être Chef d’État à vie.
Le long règne du président Blaise Camporé au Burkina Faso n’a été possible que grâce à l’existence du régiment de sécurité présidentielle (RSP) que certains médias affirment avoir même des étrangers dans ses rangs. Il aurait été impossible aux forces armées régulières de faire un coup d’État. Il a fallu le soulèvement populaire de la population pour mettre fin au régime Camporé.
Les éléments du RSP ne pouvaient massacrer les civils non armés qui ont leurs dos contre le mur de la misère. Certes, les forces spéciales parviennent à sécuriser le site du pouvoir et ses environs, cependant le reste du territoire national reste exposé à l’insécurité, en laissant les populations déjà misérables à la merci des groupes armés de différentes natures.
Le cas de la République centrafricaine (RCA) qui n’a que sa capitale sous le contrôle de l’État est assez illustratif. Les dangers des milices gouvernementales ou forces spéciales deviennent sérieux quand ces forces sont à majorité constituées des étrangers de différentes nationalités comme a été le cas en Lybie pendant le règne du Mahommar Kadhafi. Toute littérature sur l’insécurité ou terrorisme dans la région saharo-sahélienne peut être qualifiée d’incomplète, si elle ne réfère pas au régime de Kadhafi en Lybie, surtout après sa chute.
L’émergence de certains groupes terroristes, tels que Boko Haram ou AQMI n’ont pas un lien direct avec la chute de Kadhafi, car ces groupes existaient bien avant l’assassinat du président libyen en 2011. Cependant, le chaos causé à la fin du régime libyen a contribué à l’insécurité dans la région saharo-sahélienne et en particulier, à l’épanouissement des groupes djihadistes et des bandits armés, tant en ressources humaines que matérielles.
Dès son arrivée au pouvoir par un coup d’Etat en 1969, le Colonel Kadhafi initia une révolution socialiste sous la couverture de la religion musulmane, « le socialisme islamique ». Il créa une légion étrangère, Al-Failaka al-Islamiya, la légion islamique, en 1972. Al-Failaka al-Islamiya est formée des étrangers, majoritairement des Maliens, des Tchadiens et même des Nigériens. Cette légion est chargée de la sécurité rapprochée du guide et aussi des opérations à l’étranger.
A la chute de Kadhafi, les rebelles se lancent contre Al-Failaka al-Islamiya. Ce corps d’élites se désintègre. Une partie de ces soldats de fortune se retrouve au Mali. Le reste retourne dans leur pays respectif en traversant le Niger. Parmi eux, se trouvent aussi des Nigérians. Les soldats ont emporté avec eux les matériels de guerre, des dépôts d’armes de guerre en Libye.
Le chaos d’après Kadhafi a ouvert un marché illicite d’armes, d’où se ravitaillent les djihadistes. Selon le « Rapport des Nations Unies sur l’impact de la guerre civile en Libye sur les pays saharo-sahéliens, parmi lesquels, le Nigéria, le Niger et le Tchad », les groupes djihadistes en particulier, AQMI et Boko Haram ont reçu de grandes quantités d’armes libyennes.
L’échec des leaders politiques, civiles ou militaires, à apporter un développement économique et à ainsi réduire l’écart entre les nantis et les démunis, a réussi à créer des forteresses présidentielles dans les capitales africaines en laissant ainsi les gouvernés dans l’insécurité.
Il est tant que ces Chefs d’Etat qui mettent en place des milices paramilitaires ou « forces spéciales pour leur propre sécurité personnelle » sachent qu’ils peuvent être, comme l’a été Alpha Condé, l’ex-président Guinéen, victimes de leurs actions. Bientôt vous en saurez davantage sur « les milices politiques et milices d’auto-défense » nos aimables lecteurs.
Dr. Mohammed D. UMATE
Spécialiste des Relations Internationales, modzate2@gmail.com