L’Homme est un animal politique, écrivait Aristote il y a des milliers d’années. Selon ce philosophe, on ne peut pas vivre dans une société humaine sans faire la politique, donc nul n’est apolitique dans un État. Son contemporain, Platon, auteur du fameux livre La République, stratifie la société humaine en trois : les courageux/les militaires qui doivent assurer la sécurité de l’État, les intellectuels/philosophes et par extension les politiciens, qui s’occupent de la gouvernance et les ouvriers/travailleurs qui doivent assurer la survie matérielle de la société. Ces deux auteurs classiques se complètent dans leurs réflexions respectives. Nos sociétés modernes reflètent bien ces trois strates. Les deux strates, travailleurs et politiciens, aussi connues des civiles, ont leur propre savoir-faire dans la gestion de la cité.
L’armée étant une institution distincte de la société humaine est gérée par des lois et des règles qui lui sont propres. La prise du pouvoir politique par l’armée, des mains des civils, qui se fait par des armes, constituent un ‘coup d’état’ ou ‘putsch’. Dans la plupart des cas, la prise du pouvoir politique par l’armée traduit la rupture d’avec la civilité politique et un retour au temps immémoriale du passage de l’Homme, de la nature à la société. Certes, certaines situations politiques peuvent provoquer des coups d’État mais ce qui est déplorable c’est la pérennité des militaires au pouvoir. Les militaires, une fois au pouvoir, font priorité leur propre sécurité et leur bien-être au détriment de la grande société. Ils investissent plus dans des armes que dans le développement socioéconomique. Le cas du Tchad est un bel exemple, une grande partie de revenus du pétrole, pendant des années, a été destinée à l’achat d’armes. Dans des cas rares, certains militaires quittent le pouvoir une fois, des réformes entamées aboutissent à leur fin. Le coup d’État de J.J. Rawlings a permis au Ghana d’être un exemple de démocratie par excellence en Afrique subsaharienne.
Si on se réfère au spécialistes de la guerre tels que Tsu Su (l’Art de la Guerre) et Clausewitz (De la Guerre), il en ressort que les militaires doivent s’occuper de la sécurité et la sureté de la société et, assurer la survie des institutions politiques, selon le régime politique adopté.
Certes Clausewitz considère la guerre comme une continuation de politique. Il s’agit ici de la politique externe. Dans ce cas, l’armée devient un instrument politique de la Diplomatie donc de la Politique Extérieure ou Étrangère. Si l’armée devient en même temps maître de la Politique Intérieure et Politique Extérieure, dans la plupart des cas, l’État finit par s’écrouler nonobstant son développement économique. L’histoire nous rappelle bien des cas de Napoléon Bonaparte de la France ou d’Adolf Hitler de l’Allemagne. Ces deux généraux, bien qu’ils aillent réussir à gérer à l’interne, ont fini par détruire la réputation de leurs États à l’international.
Le grand stratège chinois, Tsu Su, décrit l’armée comme une institution particulière qui doit fonctionner par ses propres règles. La survie ou la destruction de l’État est liée à l’Art de la guerre qui est une doctrine plus large que l’usage des armes sur le champ de bataille. L’armée étant une institution importante de l’État doit fonctionner d’elle-même mais sur les orientations et la supervision d’un gouvernement civil. Le confucianisme prescrit la même démarche.
L’échec des gouvernements civils à assurer la sécurité humaine, la protection des vies et des biens, la prospérité économique…, a favorisé le retour des militaires au pouvoir en Afrique. L’Afrique de l’Ouest qui a été l’épicentre des coups d’État dans les années 1960 regagne sa position de champion. Le Mali, la Guinée et le Burkina ont désormais pour Chefs d’État, des militaires. A l’interne, on accuse l’administration civile de mauvaise gouvernance. Sur le plan extérieur dont la diplomatie bilatérale, les nouveaux hommes du Mali et du Burkina accusent les descendants de Jeanne d’Arc de ne pas libérer leurs territoires respectifs comme l’a fait leur ancêtre contre les Bretons il y a des siècles. Cette campagne de blâme est aussi menée sur des réseaux sociaux. Circulent parfois des images falsifiées des ‘’Français’’ livrant des armes et des camions chargées des plaquettes d’or pur dans des déserts. On pourrait se demander comment s’est réalisée la transformation des grains d’or en plaquettes ou barres d’or en plein désert.
Ces putschistes n’hésitent pas à faire croire aux populations que l’origine de leur mal est ancrée dans la néo-colonisation que mène la France. Autrement dit, si le gouvernent se débarrassait de Paris, tous les problèmes, y inclus le terrorisme djihadiste, que connait le pays vont s’évaporer. Ce chantage esthétique et médiatique a changé le raisonnement des citoyens des pays, autrefois des colonies françaises. Presque tout citoyen de ces États rêve d’un coup d’État et la fin des relations diplomatiques d’avec la France. La France, comme tous les anciens impérialistes européens, a sa part de responsabilité dans le sous-développement des pays africains mais une introspection des leaders politiques pourrait changer les choses.
Les leaders de trois pays voisins et autrefois faisant partie de l’Empire Français de l’Afrique Occidentale se sentent unis dans leur lutte contre le néocolonialisme. Ils veulent former une fédération et devenir une référence. Leurs populations respectives, dirait-on, ont des liens ancestraux qui remontent à la période précoloniale de Kankan Moussa ou Soundjiata Keita. Des unités claniques formant des maillons de leur société constituent des particularités sur le continent africain. Il y a des ‘’Traoré’, ‘’Coulibali’ ou des ‘’Doumbouya’ tant au Mali, Burkina qu’en Guinée. Ces liens claniques et espaces géographiques constituent-ils des atouts pour une fédération ? Autrement dit, le romantisme anthropologique et historique peut-il faciliter l’intégration de ces trois États nations distincts ? (Suite demain).
Dr. Mohammed D. UMATE
Spécialiste des Relations Internationales,