Si vous refusez, a-t-on l’habitude de dire, de prendre votre destin en vos propres mains, quelqu’un d’autre le fera à votre place, en ses propres termes et à ses propres conditions. Voilà une hypothèse philosophique qui peut amener à mieux comprendre les guerres de procuration en Ukraine comme au Soudan. Certes, ces guerres sont de différentes natures, guerre civile au Soudan et guerre interétatique en Ukraine, mais les réalités sont les mêmes.
Le « Pêché Originel » de ces deux pays, de deux continents différents est le même. C’est la localisation géostratégique de la guerre. Le Soudan est sur la mer rouge et donne accès au gold d’Aden et par extension au canal de Suez, une voie maritime incontournable pour la navigation entre le Moyen Orient et l’Europe.
Toute superpuissance qui peut mettre ses troupes continentales et maritimes au Soudan sera le baron de cette route et dictera ses termes aux usagers. L’Ukraine est sur la mer noire et possède l’ile de Crémée qui peut servir de ‘’launch pad’’ contre la Russie et toute l’Europe de l’Est.
Si l’Ukraine a des réserves importantes de l’or noir (pétrole) non exploitées, le Soudan est le deuxième exportateur d’or du continent africain. L’Ukraine exploite bien ses terres arables et par conséquent domine le marché mondial de grains alors que la portion du bassin du Nil (surtout le lieu de rencontre entre le Nil Blanc et Nil Bleu) est moins exploitée. Les puissances régionales telles l’Arabie Saoudite ou les Émirats Arabes Unis, en plus des ressources minières trouvent aussi des opportunités agricoles au Soudan.
Les trois superpuissances mondiales, les États-Unis, la Chine et la Russie ont pu rationnellement conquérir Djibouti et installer leurs présences militaires respectives sans conflit. Djibouti, pays côtier de la mer rouge et à la porte du golfe d’Aden, est moins riche dans son sous-sol que de terres arables.
Le seul intérêt pour les États nations étrangers est le passage maritime. Si Djibouti avait des ressources minérales comme la République Centrafricaine ou le Congo Démocratique, ce pays aurait été aussi en conflit comme ces derniers.
Les États Unis et la Russie ont donné le coup d’envoi de leurs confrontations par procuration depuis 2014 en Ukraine, en suite la Syrie, puis l’Ukraine. Et voilà venu le tour du continent africain avec la guerre civile au Soudan. Si la Russie rejette la présence militaire américaine et ses alliés de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) eu Ukraine, les États Unis refusent l’établissement d’une base navale russe au Soudan. La Russie s’est engagée directement dans la guerre pour atteindre ses objectifs alors que les États Unis ont adopté leur fameuse doctrine de Military Operation Other Than War (MOOTW) c’est-à-dire s’engager dans les opérations militaires sans faire la guerre soi-même. C’est ainsi que certains médias soutiennent que le coup d’État contre le régime de transition au Soudan contient une main invisible américaine, car ce régime a accordé l’autorisation à la Russie d’installer une base navale au Soudan.
La Russie a sous son contrôle autour de 20% de l’étendue du territoire ukrainien. La Région de DONBAS ainsi que la Crémée font déjà « partie intégrale » de la Russie, selon les locateurs de Kremlin. Autrement dit, les géographes seront obligés de revoir la carte du continent européen dans le cas où Kiev échoue à reconquérir la portion de son territoire volée. La possibilité d’arracher à la Russie son butin de la guerre est similaire à antilope qui tenterait d’arracher son petit des griffes d’un lion qui vient de l’attraper. L’espoir dit-on, nourrit l’âme souvent…
Le Soudan qui a déjà subi une chirurgie qui lui a fait perdre sa partie inferieure aujourd’hui devenue Soudan du Sud pourrait se retrouver une fois de plus dans la salle d’opération si les belligérants ne mettent pas fin à la guerre civile. Cette fois-ci, il pourrait perdre la région de Darfour et celle de Kordofan. Autrement dit, le Soudan pourrait se désintégrer en trois États distincts. L’Afrique, en occurrence les pays sahéliens, de golfe de Guinée au golfe d’Aden, devraient tirer leçons de ce qui se passe en Ukraine comme au Soudan.
Les superpuissances et les États nations qui financent les conflits n’ont rien à perdre dans leur projet, alors que les pays victimes ont leurs ressources humaines et matérielles détruites. Dans la plupart des cas, les pays sponsors s’intéressent aux ressources minières qu’ils pillent sans vergogne. Ironiquement, l’assistance militaire accordée aux belligérants n’est pas totalement gratuite. Une bonne partie doit être remboursée soit à travers les réserves financières à l’étranger ou soit par les ressources minières.
Pour mieux éviter les erreurs du Soudan ou de l’Ukraine, il faut que les leaders africains au pouvoir ou à l’opposition apprennent à sauvegarder l’existence de leurs États. Si Mandala n’avait pas mis l’existence de l’Afrique du Sud en avant, l’État arc-en-ciel aura été en chaos. Les Sud-Africains ont pu dialoguer, malgré leurs différends.
Dr. Mohammed D. UMATE
Spécialiste des Relations Internationales,