Le cœur, la raison et dans une certaine mesure la loi sont naturellement les principaux guides qui président à nos choix, à nos orientations quant à ce que nous voudrions faire de notre vie. Mais si dans le milieu traditionnel, en grande majorité composé de personnes non nourries aux lettres, pour reprendre une expression chère à René Descartes, les choix et les orientations face à toute situation semblent beaucoup plus être justifiés par le cœur ou alors le degré d’exposition à la manipulation, dans les milieux lettrés par contre, il est de coutume attendu que le sujet se détache de toutes ces formes d’emprise pour donner un cachet à la fois rationnel et libre à ses prises de position.
Celles-ci peuvent largement contrarier un système politique ou une stratégie en place, mais il ne saurait en principe leur manquer le cachet précité. Et pourtant, c’est bien cette marque ou cette allure formative légitimement attendue qui semblent bien manquer à la lecture des articles publiés par le Professeur Farmo Moumouni, à chaque fois qu’il lui vient à l’esprit de se prononcer sur le contexte politique et les choix stratégiques nigériens ou même le contexte sécuritaire au Sahel.
Tout se passe comme si le Professeur fait le choix délibéré d’attribuer des casquettes taillées sur mesure aux trois pays touchés par un contexte sécuritaire dont même le citoyen ordinaire est capable d’une lecture sans appel. En effet, dans son récent article, le Professeur dépeint une situation méconnaissable, plutôt une vue de l’esprit, suivant une logique d’agenda visant toujours à vouer le régime nigérien aux gémonies, pendant qu’il procède à une remise de médailles aux régimes maliens et burkinabè, en dépit du fait que ces derniers peinent encore à convaincre des dizaines, voire des centaines de milliers leurs citoyens à rester sur les territoires qui les ont vus naitre.
Et l’ironie du sort, c’est que ces mêmes citoyens qui deviennent de facto des réfugiés se drainent vers le Niger, seul pays à partager véritablement leur douleur, où ils sont accueillis dans la plus grande tradition africaine d’hospitalité. L’on est donc en droit de se demander comment des êtres humains normaux pouvaient opérer un tel choix si le risque dans la terre d’accueil était plus évident ou même plus important.
Telle est une question de simple raison, M. le Professeur, loin des développements livresques auxquels vous nous avez malheureusement habitués. Le Niger, votre pays Professeur, accueille ainsi depuis plus de dix ans les citoyens des pays voisins et ce serait osé de croire que cela est un fait du hasard. Même le géant Nigéria a vu ses citoyens se drainer vers le Niger et nous restons persuadés que l’image que tout ce beau monde de réfugiés retient de notre pays est sans commune mesure avec la sculpture que vous tentez de présenter à ceux qui avalent sans coup férir vos écrits.
A l’apocalypse sécuritaire que vous prévoyez pour votre pays, du fond de votre supposée pertinence, s’oppose plutôt dans le réel, une sureté évidente dont les citoyens des pays voisins, vivant le contexte dans leur chair n’ont pas manqué l’occasion de saisir les bénéfices.
Et pour mieux noyer vos lecteurs acquis pour la supposée cause commune, M. le Professeur, vous n’aviez pas hésité à les renvoyer vers ces reflexes puériles et récurrents dont la seule fonction nous parait être de produire cette excitation sans objet réel, et dans laquelle tous agiraient de la même manière sans avoir le même but. La supposée et épineuse marche vers la liberté à laquelle vous faites allusion, est véritablement une trop vielle chanson, mieux un mot de passe destiné à exciter les crédules, en même temps qu’à cacher les faiblesses des régimes que vous avez fait le choix de protéger par votre plume.
Plutôt que de pouvoir les défendre à travers les résultats, vous leur concédez le droit à la médiocrité sur l’autel de la montagne aux parois abruptes qu’ils gravissent. Entre temps, vous faites table rase des citoyens maliens et burkinabé qui perdent la vie dans cette marche dont vous et vos protégés êtes les seuls à avoir le secret.
Pour notre part, nous restons à la fois sereins et lucides et rien ne vaut les résultats à nos yeux, pour la sécurité de nos populations. A ce titre, nous retenons que le seul mobile pour votre soutien aux régimes militaires malien et burkinabé reste et demeure votre aversion pour le régime civil et démocratique en place au Niger.
Et quand, comme vous le dites, nous nous entêtons à présenter le Niger comme un ilot de paix, cela est loin d’être une vue de l’esprit au regard du contexte qui nous est commun avec lesdits pèlerins de la liberté que vous soutenez. A l’épreuve des faits et en matière de lutte contre l’insécurité, même dans ces deux pays, les régimes civils ont fait meilleure preuve que les régimes militaires qui les gouvernent aujourd’hui.
Au Burkina Faso, les statistiques disposent qu’en six ans, de 2015 à 2021, sous le régime du civil Kaboré, le pays avait enregistré environ 6 000 morts. Par contre durant la seule année 2022 du cumul des régimes des deux officiers qui avaient décidé de prendre la responsabilité des autres, le pays avait enregistré plus de 4 000 morts. Cela revient à dire que la vitesse de disparition des burkinabés a été multipliée par quatre après le coup d’Etat de Janvier 2021.
Au Mali, où une supposée montée en puissance de l’armée a été longtemps chantée, les citoyens attendent toujours de savoir le nombre de communes ou de villages sous l’emprise des terroristes qui ont été libérés. Bien sûr que tout cela s’accommoderait de la pénible et très lente marche vers la liberté, à laquelle le Niger serait le grand absent.
Le Niger, votre pays, ne peut pas ne pas être fier de ses résultats, Mr le Professeur. En dehors du fait qu’il soit le seul pays de la zone des trois frontières à avoir le plein contrôle de ses frontières, le seul à pouvoir prendre les plus grands risques, les plus périlleuses initiatives, il reste à ce jour le seul où les attaques d’envergure des groupes terroristes sur des positions combattantes restent et demeurent difficiles.
Pour rappel, le 25 Février 2022, le Président de la République Mohamed Bazoum disait au Centre International des Conférences Mahatma Gandhi, prendre des dispositions pour rendre difficiles de telles attaques. A ce jour, l’on peut affirmer sans risque de se tromper que cet engagement est largement tenu. Même l’embuscade du 10 Février dernier était intervenue sur une unité en patrouille.
Et pour marquer la différence d’avec ceux qui ont déserté leur frontière pour chercher la liberté dans leur capitale, c’était sur le territoire malien, refuge des terroristes que le 17 Mars dernier, l’armée nigérienne avait imposé un cinglant revers aux présumés responsables de l’embuscade du 10 Février 2023.
ASMANE SAADOU