Le capitaine Ibrahim Traoré livre enfin sa stratégie d’alignement au système sankariste, sept mois après son accession au pouvoir. Considéré par beaucoup de burkinabè comme le nouveau Sankara, le capitaine Traoré s’est incliné face aux injonctions répétées de la rue, qui a pris en otage les commandes de sa gouvernance.
On se rappelle les positions empreintes de multiples tergiversations, voire de volte faces qui concernaient la coopération du Burkina Faso avec les autres partenaires, en particulier la France. Dans un premier temps, le Premier ministre Burkinabè Apollinaire Kyelem de Tambela avait jugé inopportune toute rupture d’avec la France, compte tenu du passé historique qui lie les deux pays.
On ne pourra donc pas écarter d’un revers de la main toute une histoire coloniale et postcoloniale qui a façonné le peuple Burkinabè. Mais suite à la pression de la « rue » de Ouaga, la junte militaire Burkinabè a multiplié les rétropédalages pour finir par s’aligner de force sur la position de la rue burkinabè, qui réclamait haut et fort une rupture d’avec la France et un rapprochement avec la Russie. Vite, des mesures anti-françaises sont tombées, notamment la demande de départ de la Force Sabre au grand dam de l’Elysée.
Le capitaine Ibrahim Traoré venait ainsi de projeter l’image d’une orientation révolutionnaire à sa stratégie de lutte contre le terrorisme en remplaçant l’armée française par les volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Cette option s’apparente à celle implémentée par le capitaine Thomas Sankara sous la révolution, dans la mesure où elle s’appuie essentiellement sur les ressources locales Burkinabè, en vue de lutter contre le terrorisme.
Mais cela ne suffit pas à se conformer au sankarisme, qui avait développé un mouvement à l’échelle nationale, en créant de ce fait une assise populaire et une légitimité sociale. C’est ce que le capitaine Ibrahim Traoré tente de combler par la création des comités villageois qui devront désormais porter haut la voix de la révolution « naissante ».
Belle initiative pour les nostalgiques de Sankara, mais comparaison n’est pas raison et le contexte qui a présidé à l’avènement du sankarisme tranche en plusieurs points avec l’irruption sur la scène politique du capitaine Ibrahim Traoré et ses camarades. La différence fondamentale entre les deux révolutionnaires réside dans l’origine et l’appropriation de leur gouvernance.
Si Thomas Sankara a été maître de sa politique et l’a imposée au peuple sans avoir de comptes à rendre à un contre pouvoir quelconque, le nouveau révolutionnaire Ibrahim Traoré quant à lui, demeure encore le pantin d’une rue qui lui dicte sa conduite.
Au-delà de la marge de manœuvre très réduite de la gouvernance Traoré, c’est surtout sa stratégie tous azimuts qui repose sur la création de multiples fronts contre les partenaires qui différencie aussi Thomas Sankara au capitaine Ibrahim Traoré. La révolution en cours, voire à l’état embryonnaire sous la férule du capitaine Traoré manque de consistance et de ferveur comparée à celle de l’authentique révolutionnaire Thomas Sankara.
Elle pourrait prendre cette direction, si elle est faite sous la conduite éclairée de la junte militaire qui devra s’ouvrir à d’autres perspectives, en évitant de tirer notamment à boulets rouges sur la presse nationale et internationale.
La multiplication des fronts tous azimuts est source de dispersion d’énergie qui aurait dû être consacrée utilement à l’élaboration d’une stratégie holistique et plus concertée de lutte contre le terrorisme. En témoignent, les multiples désastres causés par la stratégie du tout militaire dont les maigres retombées devraient interpeller la conscience de la junte militaire Burkinabè. La révolution burkinabè sous les marques du capitaine Ibrahim Traoré a du plomb dans l’aile et ne pourra se matérialiser sans un minimum de compromis avec les partenaires étrangers, le Burkina Faso étant un pays en difficulté au quadruple plan, politique, sécuritaire, économique et social.
Toute révolution qui ne prend pas en compte la réalité de son environnement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur n’est que pure hallucination et le terreau fertile à tout populisme.
ABOUBACAR SOUMAÏLA