L’accord de paix intercommunautaire signé fin janvier à Banibangou, dans le Nord-Ouest du Niger, prouve la volonté des populations de la zone des trois frontières (Burkina Faso, Mali, Niger) d’opposer la cohésion sociale aux terroristes et aux mercenaires et d’en faire une contribution à la recherche d’une solution holistique à la crise sahélienne. Loin de l’offre du tout sécuritaire et militaire promue par la Russie. Un événement de portée historique a failli échapper à l’opinion bien trop habituée à n’entendre que des mauvaises nouvelles venant de la zone dite des trois frontières : l’Accord de paix entre communautés du département de Banibangou, dans le Nord-Ouest du Niger, sur la frontière nigéro-malienne. A l’issue d’un processus transparent et largement inclusif, les communautés locales sont convenues de retrouver le vivre-ensemble en parfaite harmonie et la cohésion sociale qui ont tant fait la fierté de cette région avant d’être mis à mal par les effets du changement climatique (différends autour du partage des ressources naturelles) mais surtout l’insécurité liée aux violences.
« Les groupes djihadistes recrutant parmi l’ensemble des communautés, la stigmatisation d’une seule est source de divisions », souligne l’accord qui réaffirme que les différends locaux ne peuvent être réglés que par le dialogue et la médiation. Ce qui ferme à double tour la porte aux prétentions des groupes terroristes et leurs alliés objectifs que sont les mercenaires souhaitant opposer les communautés, les unes aux autres. A bien l’examiner, la portée et la solidité de cet accord reposent sur les actions très concrètes qu’il énonce : renoncement à réclamer les animaux et les biens volés avant la signature de l’accord, sauf ceux retrouvés et reconnus par le propriétaire avec témoins ; arrêt des enlèvements de bétails et restitution des animaux égarés ou en divagation à leurs propriétaires, arrêt d’associer des communautés avec les groupes armés, reconnaissance des droits respectifs de chaque communauté ainsi que leurs us et coutumes. Conscients que la cohésion sociale et le vivre-ensemble légendaire sont nécessaires pour écarter les offres hasardeuses, les signataires de l’Accord de Banibangou entendent non seulement dénoncer les auteurs et les malfrats auprès des forces de défense et de sécurité, mais aussi accompagner et faciliter le retour apaisé de tous les déplacés dans leurs villages respectifs.
Ni mercenaires ni djihadistes
A contre-courant des djihadistes et autres mercenaires, qui écument la région, les signataires de l’accord encouragent la libre circulation des personnes et des biens, tout comme la fréquentation des marchés hebdomadaires par toutes les communautés. Alors que l’agenda des djihadistes et des mercenaires consiste à opposer les communautés et entretenir l’insécurité pour en tirer profits, l’Accord de Banibangou réaffirme la volonté de ses signataires « de promouvoir des messages de cohésion sociale à travers les réseaux sociaux et de condamner les appels à la division et à la violence ». Des valeurs aux antipodes de la posture des groupes terroristes et autres mercenaires qui font du viol, des massacres et de la manipulation des armes de guerre dans les pays où ils sévissent.
Outre la qualité des engagements qu’il contient, plusieurs autres éléments confèrent une forte crédibilité à l’Accord de Banibangou et en font un moment de grande espérance pour l’ensemble de la zone des trois frontières, bien au-delà du seul Niger. Facilité par l’ONG internationale Centre du dialogue humanitaire (HD), l’accord a été le plus ouvert et inclusif possible en associant les leaders communautaires et religieux, les représentants des femmes, des jeunes, des groupes d’autodéfense, le comité de paix de Banibangou ainsi que des personnes ressources engagées pour la paix, la cohésion sociale et le développement. Mais plus que toute autre mesure, c’est la création d’un Comité de suivi de l’accord de 23 membres, désignés par consensus pour représenter les communautés peulh, zarma, touarègue, arabe et hausa qui conforte le sentiment que cet accord ne sera pas sans lendemain. Il est même prévu que le comité se réunisse une fois par trimestre lors de la première année suivant la signature de l’accord afin de faire le point sur sa mise en œuvre et, si besoin, renouveler et ajuster les engagements pris. Comme pour apporter la preuve de leur détermination à ne pas laisser leur sort entre les mains des groupes terroristes et autres aventuriers, les communautés ont donné mandat au Comité de suivi pour faire un point régulier avec toutes les Parties sur l’avancement de la mise en œuvre des engagements pris dans le cadre de l’accord afin d’en renforcer la portée, prévenir et gérer les différends entre les parties, identifier, au besoin, des mesures additionnelles nécessaires au processus de réconciliation intercommunautaire, faire le point régulier avec les autorités étatiques sur l’avancement de la mise en œuvre de l’accord.
Accord populaire contre marché des dupes
Dans tous les cas de figure, y compris en cas d’échec d’application de la solution identifiée de façon consensuelle avec le comité de suivi, les Parties s’en remettront aux mécanismes traditionnels et religieux de gestion de différends. L’accord, qui existe déjà en français, est en cours de traduction en fulfuldé (Peulh) et en Zarma, les deux langues nationales les plus parlées de la région, afin de consacrer son caractère populaire. Au-delà de sa contribution indiscutable à la paix à travers la préservation de la cohésion sociale et du vivre-ensemble, l’accord de Banibangou écarte totalement le postulat simpliste et réducteur qui veut qu’il suffise d’un changement de partenariat, précisément faire venir la Russie, pour que la paix revienne dans la zone des trois frontières, comme avec une baguette magique. Les faits, ou plutôt l’absence des résultats, observés là où cette aventure a été tentée donnent absolument raison aux populations de Banibangou. Elles ont d’autant plus compris qu’il ne sert à rien de céder aux sirènes de l’imposture qu’elles ont adossé leur accord à des pistes qui privilégient la recherche d’une réponse holistique à la crise sécuritaire endémique et multiforme que connaît depuis plus d’une décennie le Sahel. En effet, l’accord dit très clairement que la paix passe par la construction, la réparation et la dotation des communautés en infrastructures sociales de base (point d’eau, centres de santé, écoles, etc.) ; la réouverture des marchés hebdomadaires fermés par la crise ; la fourniture de l’assistance humanitaire, économique et alimentaire à toutes les communautés afin de favoriser le relèvement économique de la zone ainsi que la réhabilitation des villages détruits.
On ne retrouvera nulle part les éléments ici énumérés dans l’offre russe aux Etats du Sahel qui reste exclusivement militaire et sécuritaire. Une offre qui n’a donc pas tiré les leçons de cette approche uniquement sécuritaire et militaire qui n’a pas empêché l’extension territoriale de la menace djihadiste ni son « endogénisation » particulièrement dans la zone des trois frontières où les chefs de katibas et les fantassins des groupes terroristes se recrutent désormais dans les communautés locales. C’est à cela que ces mêmes communautés se disent déterminées à mettre fin en retrouvant les valeurs du vivre-ensemble et de la cohésion sociale, loin du marché des dupes proposé par les groupes djihadistes et les mercenaires.
SEIDIK ABBA
Journaliste-Ecrivain, co-auteur de Voyages au cœur de Boko Haram. Enquête sur le djihad en Afrique subsaharienne.