Le 18ème sommet de la Francophonie ouvert, à Djerba en Tunisie, le 19 novembre 2022 a pris fin le jour suivant. Que peut-on retenir de ces retrouvailles des pays ayant le français en partage après pratiquement 3 ans d’attente (par deux fois, le sommet fut reporté pour cause de pandémie liée à la Covid19.
Louise Mushikiwabo reconduite à la tête de l’organisation
Seule candidate à sa succession, sa réélection fut comme une lettre à la poste, en dépit d’une ambiance électrique, dominée par des sujets qui fâchent, entre autres, le différend entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda son pays. Rappelons que l’ancienne cheffe de la diplomatie du régime de Paul Kagamé avait été portée à la tête de l’Organisation en 2018, au 17ème sommet tenu à Erevan en Arménie.
S’agissant de la présidence en exercice, elle passe entre les mains du dirigeant tunisien Kaïs Saed, sans que cela ne suscite quelques grincements de dents. A cause de la nature du régime actuel au pays de Habib Bourguiba. Robocop, pour ainsi qualifier le président tunisien, comme aiment à l’appeler certains de ses compatriotes, pour sa ressemblance faciale avec ce héros du cinéma hollywoodien portant ce nom, n’étant pas bien coté, côté démocratie, pour s’être octroyé des pouvoirs exceptionnels, mettant ainsi en parenthèse le plein exercice de la souveraineté du peuple.
La francophonie entre francophobie et francophilie
Le constat dégagé à Djerba est que l’usage de la langue de Molière n’a véritablement pas connu de progrès dans le monde. Par exemple, il est en recul dans les pays du Maghreb, note le président français Emmanuel Macron. Et, certainement en Afrique subsaharienne francophone où prend forme une espèce de francophobie. En effet, bien que langue officielle dans cet espace, la langue française est toujours perçue par de nombreux jeunes embarqués par les courants religieux extrémistes ou formatés par une élite dite panafricaniste comme langue du colonisateur pour maintenir l’asservissement. Aussi, l’influence de l’anglais, très dominant dans les affaires et la technologie crée-t-il une espèce de concurrence au français. C’est, entre autres, à tous ces défis que le Secrétariat Général de la Francophonie, avec au-devant la France, se doit de relever pour faire du français, non seulement une langue d’avenir mais aussi du futur, au service du développement de l’humanité en général et des pays l’ayant en partage en particulier. Toutefois, il faut souligner une montée de la francophilie au Moyen Orient où de nombreux pays adoptent le français comme langue étrangère de culture et de communication. Ce qui est un motif de satisfaction pour la Francophonie.
Un sommet en demi-teinte
Au plan politique, Djerba n’a pas répondu aux attentes. Disons qu’il n’y pas eu de prises de position sur des préoccupations de l’heure, sur lesquelles la Francophonie était attendue, histoire sans doute d’éviter autant que possible des sujets qui fâchent. Mais comment occulter la guerre en RDC, le pays de Félix Tshisekedi étant le 2ème pays francophone au monde (avec 42, 5 millions de locuteurs) ? Sur ce sujet, le couteau fut remué dans la plaie. Quand la Secrétaire Générale de la Francophonie évoque la guerre en RDC suggérant le retour aux accords de paix de décembre 2002 signé à Pretoria en Afrique du Sud, entre le régime de Laurent Désiré Kabila et 4 factions rebelles parmi lesquelles le M23, le Premier Ministre congolais Sama Lukonde voit dans cette idée une prise de partie flagrante qui heurte sa neutralité. A se demander si les relations tendues entre Interrogée par RFI sur la crise politique au Tchad, si oui ou non le régime de Mahamat Idriss Deby Itno va être sanctionnée par la Francophonie pour la répression sanglante des manifestants-démocratie, Louise Mushikiwabo a eu une réponse mitigée arguant que l’Organisation très préoccupée par la situation dans ce pays va suivre avec beaucoup d’attention le traitement de ce dossier par l’Union Africaine (UA) et la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC). Non plus de décision sur le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry, tous membres de l’Organisation traversés par des crises politiques consécutives à des coups d’Etat intervenus. Ces trois pays-là n’ont pas été conviés à Djerba. Pas de déclaration commune aussi sur la guerre en Ukraine, et un observateur trouvera à dire que ce n’est pas là le rôle de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui, de par son rôle et les objectifs assignés par ses pères fondateurs, se doit d’unir les peuples plutôt que de diviser.
Si l’on occulte les sujets purement politiques, la rwandaise n’a pas à pâlir de son mandat. En effet, avec Louise Mushikiwabo, plusieurs réformes ont été engagées et des projets phares à forte valeur ajouté initiés et mis en œuvre en direction notamment des jeunes et des femmes. N’est-ce pas en cela qu’il faut comprendre le thème retenu pour ce sommet de Djerba ainsi intitulé : « La connectivité dans la diversité : le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone » ? Le numérique, voilà justement ce qui unit le monde, outil indispensable au progrès dans tous les domaines et secteurs de la vie. Le prochain sommet de la Francophonie, ce sera à Villers-Cotterêts en France en 2024, là où le roi François 1er décréta le français comme langue du Royaume de France. Depuis 1991, le pays d’Emmanuel Macron n’a plus accueilli de sommet de la Francophonie. Quant aux prochains jeux de la Francophonie, ils sont prévus en 2023 en RDC.
OUMAROU KANE
A propos de la Francophonie
Le 20 mars 1970, à Niamey la capitale du Niger naissait l’ancêtre de la Francophonie, à savoir l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT) à l’initiative des présidents nigérien Diori Hamani, sénégalais Léopold Sédar Senghor, tunisien Habib Bourguiba et du prince Norodun Sihanouk du Cambodge. A sa création, l’ACCT comptait 21 pays que sont : Belgique, Bénin, Burundi, Cambodge, Canada, Côte d’Ivoire, France, Gabon, Haute Volta (actuel Burkina Faso), Luxembourg, Madagascar, Mali, Ile Maurice, Monaco, Niger, Rwanda, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisie et Vietnam. Aujourd’hui, l’Organisation International de la Francophonie compte 54 pays membres, 7 membres associés et 27 observateurs. Le français est langue officielle dans 29 pays. Il est la 5ème langue parlée au monde, avec 321 millions de locuteurs. Il est la 4ème langue sur Internet.
OUMAROU KANE