Au Tchad, c’est un véritable réquisitoire auquel se sont livrés les évêques au sujet du référendum constitutionnel fixé le 19 Novembre 2023 en accentuant les critiques sur la gouvernance du général Mahamat Idriss Deby, tout en mettant en évidence les lourdes menaces qui pèsent sur la cohésion sociale. Déjà l’organisation des assises nationales avait exacerbé la division des fils et filles du pays, en engendrant des résultats contestés et décevants pour une bonne partie de la classe politique tchadienne qui les a considérés comme une véritable mise en scène, une parodie de réconciliation visant à renforcer la position du jeune général Mahamat Idriss Deby qui de fait succède à son défunt père confirmant ainsi l’instauration d’une dynastie.
L’opposition tchadienne et une partie de la société civile profondément déçues de ces assises les assimilent à la montagne tchadienne qui a accouché d’une souris et manifestent toujours son rejet à l’égard des conclusions émanant de cette rencontre à l’échelle de la nation, en particulier celle qui permet aux militaires tel le général Mahamat Idriss Deby, de pouvoir se présenter aux élections présidentielles. C’était peine perdue, car le pouvoir militaire comme à son accoutumée a usé des mêmes moyens jadis efficaces pour étouffer dans le sang les velléités de contestation, causant plusieurs morts et plusieurs blessés parmi les manifestants sans qu’il soit inquiété par la communauté internationale réduite à de simples discours de condamnation.
Mais c’est surtout, les récents événements qui ont cours au Sud du Tchad, qui aujourd’hui alertent beaucoup d’observateurs dont font partie les évêques du Tchad suivis aussi des pasteurs. Aussi, dans un mémorandum adressé au Président de la transition, la conférence épiscopale du Tchad (Cet) interpelle sur l’insécurité qui se propage, la pénurie des denrées de première nécessité et la composition de la commission nationale chargée d’organiser le referendum constitutionnel (Conerec).
L’opposition s’est élevée contre la composition du Conerec, dominée largement par les partisans du pouvoir dont les intentions sont désormais devenues un secret de polichinelle pour les observateurs avertis de la vie politique tchadienne. Avec une telle configuration de la Conerec, les dés sont déjà jetés et le référendum constitutionnel est gagné d’avance grâce à une machine électorale qui a déjà fait ses preuves, notamment sous l’ère du défunt maréchal du Tchad, Idriss Deby Itno.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il serait illusoire de ne pas s’attaquer en amont à la cause principale qui est la composition de cette commission chargée de l’organisation du référendum constitutionnel. Pour les évêques tchadiens, les tueries et les pénuries des denrées de premières nécessitées au Tchad sont organisées et voulues par la transition. « Ces situations créées volontairement ou par ignorance constituent des défis, et doivent nous interpeller tous, mais en tout premier lieu les gouvernants qui se sont donné comme seule raison d’être, de garantir la sécurité et le bien-être de leur peuple ».
Les Pasteurs de l’église, quant à eux souhaitent aussi que les autorités de la transition soient attentives aux cris du peuple. « Appliquons-nous à pratiquer la justice et le droit, à rechercher la paix, la sécurité et le bien-être pour tous, en refusant de nous compromettre dans des pratiques courantes chez nous, le népotisme, la corruption et toutes les formes d’exclusions ».
Ce n’est pas la première fois que l’Église s’est prononcée sur la situation sociopolitique du Tchad, tout en mettant un accent particulier sur les risques de divisions profondes des fils et filles du Tchad. C’est même devenu une coutume, voire un devoir d’ingérence de la conférence épiscopale au Tchad de jeter un regard plein d’attention à l’endroit des populations tchadiennes sous le joug des dictatures et de la mal gouvernance qui sont malheureusement la marque de fabrique des différents régimes militaires au Tchad.
Le 19 Avril 2018, la conférence épiscopale à N’Djamena avait exprimé ses inquiétudes face à la modification de la loi fondamentale que le pays s’apprête à opérer, pour passer à la IVe République sous le président Idriss Deby Itno. Ce projet de réforme de la Constitution a été soumis à l’Assemblée nationale pour adoption, le 30 Avril. Les évêques au Tchad avaient décrié cette réforme en affirmant que ce processus portait déjà les germes d’une « grave division » et exigé la tenue d’un référendum constitutionnel.
Ces réactions issues de la communauté chrétienne tchadienne ne sont pas le fait du hasard et obéissent plutôt à une réalité sociologique du pays de François Tombalbaye dont le Sud est occupé essentiellement par des populations d’obédience chrétienne qui vivent une douloureuse épreuve du fait des exactions des bandes armées de tout acabit et surtout de leur exclusion du pouvoir, à part quelques cadres triés sur le volet pour combler le décor au sein du clan au pouvoir.
C’est pourquoi, ces groupes sociologiques crient à la marginalisation depuis la perte du pouvoir de François Tombalbaye, originaire du Sud du pays et jadis considéré comme leur leader. Mais le pouvoir a changé de mains, de camp depuis que les différentes rébellions successives conduites par des leaders du Nord rythment la vie politique tchadienne, en instaurant ainsi une véritable dynastie incarnée de façon flagrante aujourd’hui par le camp Deby.
Ce cri de cœur émanant des représentants des églises est révélateur de la division profonde du Tchad qui peine à construire une nation véritable, les détenteurs du pouvoir surtout privilégiés et originaires du Nord et les groupes marginalisés réduits aux miettes issues des communautés du Sud.
On entendra rarement les cris des représentants de la communauté musulmans contre le pouvoir central de N’djamena, car ces leaders religieux bien souvent à la solde du régime sont logés au cœur du système profitant de tous les avantages qui de ce fait leur interdisent tout mouvement d’humeur. C’est donc toujours le même défi auquel doit faire face tout pouvoir au Tchad, depuis l’accession de ce pays à l’indépendance, et ce, à l’instar de nombreux pays africains qui sont aussi gagnés par les monstres du tribalisme, du népotisme qui plombent l’émergence de l’État-Nation.
Le niveau de leadership des dirigeants quel que soit leur bord politique, n’est malheureusement pas à la hauteur du dépassement nécessaire, permettant de créer un État unitaire inscrit durablement dans l’inconscient collectif de leur population.
ABOUBACAR SOUMAÏLA