Il faut dire que l’opposant sénégalais Oumane Sonko passe pour « la réincarnation politique » du président Macky Sall. Le Sénégal amorce un tournant décisif de sa vie démocratique, suite à l’appel à manifester de l’opposant Ousmane Sonko, lancé pour ce mercredi 29 Mars et jeudi 30 Mars 2023. Aussi, malgré l’interdiction formelle de ces manifestations par les autorités sénégalaises, la coalition Yewwi Askan Wi qui signifie en langue ouolof libérons le peuple, a appelé les Sénégalais à se joindre à une marche pacifique mercredi après-midi à Dakar, veille du procès de l’opposant Ousmane Sonko, du fait de la plainte du ministre du Tourisme Mame Mbaye Niang, un responsable du parti présidentiel, qui l’accuse de « diffamation, injures et faux ».
Le motif invoqué pour justifier l’interdiction des manifestations, selon le préfet de Dakar se résume ainsi par « des menaces réelles de troubles à l’ordre public ». Les craintes du préfet-maire de Dakar sont corroborées par le procureur de la République Ibrahima Bakhoum, lors d’une conférence de presse. Ce dernier a fait des révélations troublantes au sujet de la préparation de ces manifestations dont les investigations par la justice ont révélé des « faits mettant en jeu la stabilité du pays. L’intention d’un groupe mis en cause est de mener des actes subversifs et de porter atteinte à des personnalités publiques dans la justice, l’appareil d’État, dans les milieux religieux et la presse ».
Il a aussi fait part de l’existence d’un groupe sous la conduite de Ousmane Sonko et ses supporters qui serait déjà en possession de « produits explosifs, de fumigènes, de cocktails Molotov et de herses », prêt donc à semer la désolation dans la capitale sénégalaise. Pour l’opposant Ousmane Sonko, ce n’est qu’une vue de l’esprit digne d’un pouvoir en déroute, face à la résistance farouche de l’opposition prête désormais à en découdre avec Macky Sall et ses partisans déterminés à être les fossoyeurs de la légendaire démocratie sénégalaise.
Ces manifestations des partisans d’Ousmane Sonko visent certainement à faire infléchir le pouvoir quant à la condamnation de leur leader, en l’écartant ainsi à la course à la présidentielle de février 2024. Pour de nombreux opposants sénégalais, à l’instar de l’ancienne Première ministre, Aminata Touré, qui s’est ouvertement opposée au probable troisième mandat du président Macky Sall, cette stratégie du pouvoir vise à éliminer les candidats potentiels susceptibles de contrarier ce « complot » ourdi contre le peuple qui le juge illégal, selon l’opposition.
Pour les défenseurs du troisième mandat, prêts à accompagner le président Macky Sall jusqu’au bout de sa logique, l’idée d’un troisième mandat est rendu possible par la révision constitutionnelle de 2016, qui aurait selon eux remis les compteurs à zéro.
Cet argument nous renvoie au fameux troisième mandat du président Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire qui justifiait aussi sa candidature par l’avènement d’une nouvelle République qui lui permettait de briquer un premier mandat. Véritable parade politique qui a la vertu d’accorder une parfaite virginité politique au candidat, quelque soit le nombre de mandats exercés par ce dernier.
Ironie de l’histoire, Macky Sall s’était aussi farouchement opposé au président Abdoulaye Wade qui voulait briguer un troisième mandat jugé illégal et illégitime en son temps. Pourtant, l’argument avancé par le camp Wade s’assimile parfaitement à celui du camp de Macky Sall aujourd’hui, d’autant plus que lui aussi se basait sur la refonte de la constitution qui remettait le compteur à Zéro.
En ce temps, le juge constitutionnel saisi pour trancher cette question avait débouté les opposants et acteurs de la société civile jadis mobilisés comme un seul homme contre ce qu’ils considéraient comme une véritable « escroquerie politique » visant à éterniser le clan Wade au pouvoir. Macky Sall se retrouve aujourd’hui dans la même situation et fait preuve d’amnésie politique.
En effet, c’est fort de la révision constitutionnelle adoptée en 2016, qu’il pourrait lui aussi prétendre que son premier mandat, de 2012 à 2019, « ne compte pas ». Dans ce cas, la jurisprudence lui viendrait certainement au secours en brandissant la décision rendue par le Conseil constitutionnel en 2012 pour se représenter à l’instar du président Abdoulaye Wade qu’il avait farouchement combattu et traité d’avoir avili la belle et légendaire démocratie sénégalaise.
L’histoire se répète donc au Sénégal aujourd’hui, le Macky Sall d’hier devient Ousmane Sonko, les rôles étant inversés. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, à la seule différence que le très combattu Abdoulaye Wade, il faut le lui reconnaître n’avait pas muselé autant l’opposition et les acteurs de la société civile.
L’avenir de la démocratie sénégalaise se joue certainement autour du procès d’Ousmane Sonko, car le verdict déterminera à coup sûr la nouvelle orientation que va donner l’opposition à sa lutte contre un éventuel troisième mandat et par extension au rétablissement des principes démocratiques qui ont visiblement du plomb dans l’aile. Pour le moment, le président Macky Sall continue d’entretenir le flou autour de sa possible candidature à l’élection présidentielle de février 2024. Un véritable flou artistique qui ne surprend guère les observateurs avertis de la vie démocratique en Afrique, tant le même scénario s’est déroulé ailleurs devenant ainsi un secret de polichinelle.
Ces événements qui risquent de jeter le Sénégal dans un chao politique indescriptible témoignent une fois encore, du manque de maturité des leaders africains à implémenter véritablement et effectivement la démocratie. Malheureusement, les échecs du passé ne servent toujours pas de leçons aux nouveaux arrivants, toujours prêts à reproduire les mêmes erreurs de leurs devanciers, telle une malédiction des dieux de la scène politique africaine.
ABOUBACAR SOUMAÏLA