Les autorités de la République démocratique du Congo ont procédé à un remaniement ministériel dans la nuit du 23 au 24 Mars 2023. Ce remaniement tant attendu par les congolais depuis près de trois mois, suscite déjà des réactions auprès des observateurs de la vie politique de ce pays qui, traverse un moment difficile de son histoire, à cause des atrocités de la guerre que vivent les populations à l’Est.
Faits saignants de ce remaniement, on enregistre l’entrée « fracassante » de deux poids lourds de la politique congolaise au gouvernement. Ce sont en l’occurrence Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhé. Connu par le passé pour avoir été un chef de guerre, Jean-Pierre Bemba avait écopé d’une condamnation de 18 ans de prison par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes commis en République Centrafricaine. En 2018, il est acquitté en appel après dix ans d’emprisonnement. Il occupera ensuite le poste de vice-Premier ministre et ministre de la Défense, dans un contexte où la RD Congo, est en proie aux violences armées depuis près de 30 ans sur sa partie orientale, des violences assorties d’une détérioration de ses relations avec le voisin Rwandais. Kigali est en effet, accusée par les autorités congolaises de soutenir la rébellion du M23, qui cause la désolation au sein des populations, à l’Est du Congo depuis 2022.
Selon le journaliste Christophe Rigauet fondateur du site Afrikarabia « Bemba a une stature et un poids politique qui restent importants ». Et de renchérir qu’il a quand même une expérience importante, en tant que vice-Premier ministre. Cela lui donne une connaissance du fonctionnement de la machine d’État qui peut être intéressante pour Tshisekedi.
On pourrait d’office croire que cette nomination obéit à la volonté de Félix Tchisekedi de relancer la machine de guerre contre la rébellion du M23, grâce à l’expertise de ce chef de guerre que fut Jean Pierre Bamba. L’autre grosse recrue et pas des moindres de ce nouveau gouvernement, c’est Vital Kamerhé qui, à l’instar de Jean Pierre Bemba a connu aussi une condamnation judiciaire de 20 ans en 2020 pour des faits de détournement de fonds. Il bénéficie d’un acquittement en appel en 2022. Il occupe également le rang de vice-Premier ministre, mais également le poste de ministre de l’Économie.
Deux profils similaires, qui viennent en renfort au camp du président Félix Tchisekedi dans un pays où l’électorat obéit aussi aux réflexes identitaires. Pour rappel, Jean Pierre Bemba est à la tête du Mouvement de libération du Congo (MLC) et Vital Kamerhe de l’Union pour la nation congolaise (UNC). Chacune des formations politiques connait une réelle assise sur l’échiquier politique congolais, en incarnant chacune la région du Nord pour Jean Pierre Bemba et l’Est du pays pour Vital Kamerhé.
L’analyste politique Christophe Rigaud donne aussi son avis sur la pertinence du choix de Vital Kamerhe « il a été président de l’Assemblée nationale, donc il connaît tous les rouages de l’État. Cela lui a permis de devenir directeur de cabinet pour Félix Tshisekedi ». En outre, Kamerhé et Bemba tiennent chacun les rênes des partis politiques « qui pèsent relativement lourd dans le paysage politique congolais », ajoute-t-il.
Ces nominations à neuf mois des échéances électorales sont perçues comme étant éminemment politiques et contribuent à renforcer certainement l’alliance sacrée autour du président congolais, Félix Tshisekedi, en vue de passer haut les mains au premier tour des élections présidentielles de 2024. L’autre avantage et non des moindres que tire le président congolais de la nomination de ces grosses pointures de l’arène politique congolaise, est le fait de se préserver de toute possibilité de candidature de poids lourds, tant leur célébrité n’est plus à démontrer.
C’est un véritable coup de maître que réalise le président Félix Tchisekedi par ce qu’il est convenu de considérer comme une « offre publique d’achat de conscience » réussie avec brio en entraînant de ce fait dans son sillage les deux électorats majeurs des deux leaders. Ainsi, l’adage qui dit que « qui veut voyager loin ménage sa monture » trouve sa parfaite illustration et même son implémentation devrait-on écrire, avec le président Félix Tchisekedi.
Par ailleurs, on retrouve chaque fois sur le continent africain, le même paradigme politique marqué par le désir ardent des leaders de partis politiques de « marchander » voire monnayer leur position sur l’échiquier politique du pays en vue de bénéficier des retombées conséquentes, en accédant à la « grande mangeoire du chef ». Malheureusement, le peuple qui continue de croire à ces leaders, hissés au rang de demi-dieux, sort grand perdant de ce nouveau « deal politique », sans pour autant capitaliser de l’instrumentation dont il est victime depuis plusieurs décennies, en demeurant ainsi le véritable « mouton de Panurge » des hommes politiques africains.
ABOUBACAR SOUMAÏLA