Voici deux regards croisés d’un avocat et d’un ancien ministre ivoirien permettant aux citoyens africains de saisir à la fois les ressources juridiques et l’opportunité de l’intervention militaire de la CEDEAO dans un pays membre. Un débat fort utile que nous mettons gracieusement à votre disposition, chers lecteurs, en cette période de grande manipulation pour mieux comprendre les contours juridiques de l’institution régionale. Lisez plutôt.
LA CEDEAO PERD SON ATOUT MAITRE, MISE AU POINT NECESSAIRE !
Mais la CEDEAO ! Que représente-t-elle au juste aujourd’hui ? Le mythe est-il porteur d’une réalité qui le dépasse ou s’insurge-t-il pour triompher d’une volonté d’intégration branlante et peu assurée ? La menace d’une intervention militaire de la CEDEAO au Niger démontre que l’organisation est aux prises avec une paralysie dont témoignent ses appels de plus en plus pressants à des actions militaires sur les territoires des Etats membres pour assurer sa survie.
Malgré l’hostilité aux changements anticonstitutionnels de gouvernement, la CEDEAO s’est révélée incapable de trouver une réponse aux crises politiques dans son cadre normatif si bien que l’option militaire lui paraît être l’ultime recours.
Il faut situer la genèse dans l’échec de la tentative d’une intervention militaire, sur les décombres de l’ECOMOG en outrepassant le champ matériel de son dispositif normatif.
Dès ses premières interventions, comme ce fut le cas au Liberia, « l’action de la CEDEAO a revêtu deux aspects : un aspect militaire, par le biais des opérations de maintien de la paix et, un aspect politique, à travers l’insistance sur la nécessité d’un retour à un ordre constitutionnel et à l’instauration d’un pouvoir démocratique issu d’élections transparentes.
C’est le sens du Plan de la paix de la CEDEAO relative au Libéria, adopté par la décision du 28 novembre 1991en vue de la mise en place d’un gouvernement démocratiquement élu. Pareille démarche avait été adoptée à l’occasion de la crise en Sierra Leone et en Guinée-Bissau. Dans l’ensemble de ces cas, il s’est dégagé une approche, voire un dogme juridique de la non-violence politique à l’échelle régionale.
Le seul cas où le recours à des véritables sanctions ont dû prévaloir fut le Libéria, où CharlesTAYLOR s’est vu menacer d’une « mise au banc » s’il n’appliquait pas le plan de paix de la CEDEAO. En Sierra Leone, une décision d’embargo a été prise par la Conférence des chefsd’État et de gouvernement, complétée par la dévolution aux forces de l’ECOMOG d’une mission de surveillance.
Lors de son Sommet du 4 février 2018, la CEDEAO avait une décision A/DEC. 2.01/2018 portant adoption des sanctions personnelles visant à favoriser une sortie de crise en République de Guinée Bissau. Dans cette décision, une vingtaine de personnalités politiques désignées comme responsables de la persistance de la crise politique et du non respect des accords conclus entre les acteurs pour un règlement de la crise, ont écopés des sanctions suivantes : suspension de leur participation aux activités de la Communauté, interdiction de voyager et dénégation de visas à leurs encontre ainsi que leurs familles, gel de leurs avoirs et ceux de leurs familles.
la CEDEAO avait également suspendu de ses instances suivie d’une batterie de sanctions en application de l’article 45 du protocole de Dakar, suite au coup d’État intervenu contre le gouvernement démocratique d’Amadou Toumani Touré en 2012.
Dans la crise politique et constitutionnelle en Côte d’Ivoire de 2010, la CEDEAO, dans sa Déclaration du 24 décembre 2010 issue du Sommet extraordinaire d’Abuja, allait, pour la première fois, écarter les textes communautaires, et menacer d’user de la force pour instaurer la démocratie et installer le candidat déclaré vainqueur de l’élection par la commission électorale indépendante (CEI).
Ce fut aussi le cas en décembre 2016 en Gambie où la CEDEAO avait envisagé l’option militaire. Cette intervention, soutenue par le Conseil de sécurité de l’ONU avait pour but de « débarquer » le Président sortant Yaya Jammeh, pour installer le candidat déclaré vainqueur, en l’occurrence M. Adama Barrow.
Donc ce n’est pas la première fois que l’option militaire est envisagée par la CEDEAO, mais l’échec des tentatives d’intervention annoncées en Côte d’ivoire, en Gambie et aujourd’hui au Niger se justifie notamment par l’existence d’un dispositif normatif clair qui encadre le régime des sanctions tel que le Protocole sur la démocratie et la Bonne gouvernance et l’Acte additionnel A/SA. 13/02/12 du 17 février 2012 portant régime des sanctions à l’encontre des États membres qui n’honorent pas leur obligation vis-à-vis de la CEDEAO.
En effet, s’il existe une norme communautaire proscrivant le changement anticonstitutionnel, les textes communautaires sont restés silencieux quant aux mécanismes de rétablissement de la démocratie. En réalité, c’est en entérinant le cadre normatif de l’Union africaine en droit communautaire que la CEDEAO légitime son action, puisque son cadre normatif aussi développé soit-il, ne permet pas une intervention par la force mais privilégie surtout une gestion préventive et, le cas échéant, un mécanisme de dialogue à l’instar de la pratique coutumière africaine désormais ancrée dans nos sociétés.
Ainsi donc, contrairement à ce qu’on pouvait entendre dans les débats, l’action militaire de la CEDEAO sur le territoire d’un autre Etat membre ne saurait avoir pour autre objectif que le maintien de la paix ou l’assistance en cas d’agression par un Etat tiers.
Devant des résultats dérisoires dans la stabilisation des régimes issus des élections, le dialogue apparaît donc comme la seule solution qui s’impose, il y va de la survie de la CEDEAO !
Me Bachirou AMADOU ADAMOU,
Avocat, Docteur en droit