C’est chose étonnante en Afrique, où l’on a beaucoup d’égards pour les anciens présidents de la République ! C’est une grande première en Afrique, un président ayant dirigé le pays pendant 10 ans devra répondre de sa gestion. La Mauritanie vient d’engager un procès contre l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a dirigé la Mauritanie durant dix années de 2009 à 2019, à l’issue des élections démocratiques. Porté au pouvoir en 2008 par un putsch, puis élu président en 2009 et réélu en 2014.
L’ancien Chef de l’Etat et une dizaine de membres de son gouvernement doivent être jugés et le procès s’est ouvert à Nouakchott, le 25 janvier pour des « faits de corruption et d’enrichissement illicite ». Ainsi, la justice mauritanienne a décidé d’arrêter l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz à son domicile dès la veille pour qu’il ne comparaisse pas libre.
A la barre, il devra répondre de plusieurs chefs d’accusations, notamment celui d’avoir abusé de sa position en amassant une fortune, dans des entreprises. C’est à son domicile que la police est venue le cueillir à Nouakchott, sans un mandat, selon ses avocats.
L’ancien président mauritanien âgé de 66 ans, fait partie des rares Chefs d’Etat à devoir répondre de sa fortune, après avoir quitté le pouvoir, comme s’il n’avait pas un traitement digne de son rang.
D’habitude, ses homologues sont jugés par les justices nationale ou internationale, surtout pour des « crimes de sang ». Mais en principe, les Chefs d’Etat ne sont passibles de procédure judiciaire que pour « haute trahison », le seul chef d’accusation dans toutes les constitutions du monde ou Loi fondamentale des pays. Ainsi, l’histoire des affaires politiques révèlent que les procès à l’encontre des anciens Chefs d’Etat sont très difficiles voire improductifs.
Même si les exemples des procédures judiciaires sont légion. On peut retenir le cas emblématique de Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien et son ministre de la jeunesse, Blé Goudé qui ont passé dix (10) ans inutilement à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, au Pays-Bas, dans une longue procédure judiciaire, finalement infructueuse.
Le procès de Gbagbo s’était ouvert en grande pompe, le 28 janvier 2016 et le 15 janvier 2019, la Chambre de première instance, à la majorité, a acquitté Laurent Gbagbo de toutes les charges de crimes contre l’humanité prétendument perpétrés en Côte d’Ivoire entre 2010 et 2011.
Sur le continent africain, plusieurs procès en cascade contre des anciens Chefs d’Etat sont en cours. C’est le cas en Guinée-Conakry avec le sulfureux procès de l’affaire du 28 septembre impliquant le tout aussi sulfureux ancien président putschiste Moussa Dadis Camara, tout comme celui du professeur Alpha Condé, projeté.
L’une des rares procédures judiciaires engagées contre un ancien Chef d’Etat, qui a abouti à une condamnation à « la prison à perpétuité pour crime contre l’humanité et torture » est celui d’Hissène Habré, au Sénégal, par les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises, le 30 Mai 2016.
Les avocats du président Ould Abdel Aziz s’inquiètent quant à eux, au regard du traitement déjà réservé contre leur client, de la tenue d’un procès équitable. L’ancien président aurait pu comparaitre libre.
L’on note un dossier très lourd, fortement documenté par le pouvoir, comprenant au moins 10. 000 pièces à la charge. Les avocats dénoncent d’ores et déjà une très mauvaise organisation, d’autant qu’ils déplorent l’inaccessibilité du dossier au complet, pour pouvoir organiser la défense de leur client.
Dans le box des accusés, outre le président Mohamed Abdel Aziz lui-même, onze (11) de ses anciens ministres, dont deux Premiers ministres vont comparaitre. 24 témoins à charge sont dressés pour se déchainer contre lui, en vue de lui dépouiller de sa fortune estimée à 67 millions d’Euros, au cours de ce procès, qui pourrait être historique pour le moins, d’autant qu’il est mis en cause dans une affaire dite de corruption et d’enrichissement illicite.
Selon Maître Ciré Cledor Ly joint par nos confrères de RFI « l’audience s’approche. Le greffier, lui, dit qu’il n’a pas reçu d’ordre pour nous remettre le dossier, alors que nous avons droit non seulement à une copie des pièces et des procès-verbaux mais encore, nous avons la faculté de réclamer l’intégralité du dossier et avoir les textes de procédure à nos frais. Nous avons donc écrit pour avoir l’intégralité, à nos frais et, jusqu’à ce jour, absolument rien. Il nous restera huit jours, lundi, et vous comprenez bien qu’avec 8 000 à 10 000 pièces, demander aux avocats de préparer la défense du président avec lui, parce qu’il faudrait qu’il voit ce dont on l’accuse et qu’il nous oriente sur les éléments qui permettent d’apporter la contre-vérité de ce qui est allégué dans toute chose. En fait, c’est impossible en huit jours. Si nous n’avons pas le dossier du tribunal, de la Cour criminelle, cela veut dire que nous, comme notre client, nous comparaîtrons sans être préparés et ce n’est pas un procès équitable ».
Pour Ould Abdel Aziz et ses proches, ce procès a une portée hautement politique. Il vise à éliminer de l’arène politique de la Mauritanie, un adversaire redoutable, qui garde encore une légitimité incontestable auprès des populations.
ABOUBACAR SOUMAÏLA