Des options proposées et des craintes exposées à la réunion des chefs militaires de la CEDEAO !
Les deux jours de réunion (19 et 20 décembre 2022) des chefs d’Etats majors des armées des pays membres de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Bissau (capitale de la Guinée-Bissau) n’auront pas été fructueux. Au regard bien évidemment de ses attentes.
L’initiative de cette rencontre décidée au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres de la CEDEAO, à Abuja (Nigéria), le 4 décembre dernier avait été saluée au sein de l’opinion ouest africaine, notamment dans les pays affectés par le terrorisme. Enfin, la fondation d’une véritable force militaire offensive de sécurisation et de stabilisation commune à l’Espace !
Dans l’espoir que c’est ce qui va sortir de la rencontre programmée des chefs d’Etat-major des armées des pays membres, y compris le schéma de son opérationnalisation. Finalement, ce fut plutôt une litanie de craintes au cours de leur conclave des deux jours. Si les patrons des armées des pays membres de la CEDEAO ont défini avec pertinence les objectifs opérationnels de la force militaire conjointe commune qu’elle se doit d’être offensive sur le terrain, protectrice des populations civiles et destructrice de l’ennemi terroriste, ils sont restés dubitatifs et même très incertains quant à sa faisabilité. Est-ce que tous les Etats concernés par le terrorisme vont accepter un tel format ?
L’allusion est claire à ce niveau : c’est la crainte de voir les autorités maliennes de la transition émettre la fanfaronnade du genre « le respect de la souveraineté avant tout ». Ça ne tient pas la route, dès lors que le Mali avait accepté sur son sol des forces extérieures à l’espace CEDEAO (tchadiennes et françaises) avec des mandats offensifs. Tout cela, c’était bien sous un régime plus coopératif ; trouvera-t-on à répliquer.
Toutefois, il faut faire remarquer que si la situation sécuritaire dans ce pays a atteint aujourd’hui un niveau aussi dégradant, c’est parce qu’aussi l’organisation ouest africaine a failli. Elle n’a, à aucun moment, activé un quelconque mécanisme de riposte au terrorisme, à l’image de la Force en Attente de la CEDEAO qui a pourtant fait ses preuves par le passé, se focalisant principalement sur la remise en cause de l’ordre constitutionnel, alors même que les deux sujets sont intimement liés.
En effet, comment instaurer un régime démocratique civil quand les ¾ du territoire sont hors contrôle ? Voilà l’équation que le colonel Assimi Goïta et ses compagnons d’armes devraient poser dès le départ à la CEDEAO au lieu de se verser, eux aussi, dans leur populisme qui les a rattrapés, la situation sécuritaire actuelle de leur pays étant plus chaotique qu’auparavant.
Restons toujours sur le sujet soumis à leur appréciation à Bissau, consistant à tracer le schéma de l’opérationnalisation de la future force anti terrorisme/anti coups d’Etat de la CEDEAO pour noter que les chefs des armées de l’espace communautaire sont allés jusqu’à empiéter sur les prérogatives des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Organisation. Si non, comment peuvent-ils évoquer de problèmes de financement pour cette force puisque ce niveau d’appréciation ne relève pas de leurs compétences.
Fallait-il d’abord qu’ils estiment les coûts que requiert l’opérationnalisation de cette force et soumettent le budget aux chefs d’Etat et de gouvernement, quitte qu’à cet ultime niveau, la faisabilité soit jugée. Il faut souligner que lors de la dernière conférence au sommet à Abuja, les dirigeants ouest africains réunis ayant tiré certainement les leçons des échecs des expériences similaires tentées çà et là ont décidé de mettre la main à la pâte afin que la force anti terrorisme/anti coups d’Etat soit moins dépendante financièrement de l’extérieur, pour garantir sa pérennité.
Relativement à son autre vocation, à savoir le rétablissement de l’ordre constitutionnel à chaque fois qu’un coup d’Etat venait à troubler la marche démocratique d’un pays membre, les chefs d’Etat-major des pays membres de la CEDEAO n’ont proposé aucune option, se contentant de relever sa complexité et même sa non-faisabilité. Pour certains observateurs, ce n’est là ni plus ni moins qu’une solidarité de corps manifeste à l’endroit de leurs frères d’armes du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée Conakryaux commandes des affaires de leur Etat.
Car, estiment-ils, si effectivement déloger un chef militaire auteur de coup d’Etat qui jouit de la confiance de son armée est difficile, mais combien sont-ils ces putschs militaires qui font l’unanimité au sein de leur armée. Ce sont généralement des groupuscules qui les fomentent et mettent leurs frères d’armes devant les faits accomplis.
S’il faut donc s’en tenir à la réunion des chefs d’Etat-major des pays membres de la CEDEAO à Bissau, on ne doit rien espérer de création d’une force militaire commune dans la lutte contre le terrorisme et en faveur de la stabilité politique au sein de l’espace commun. Du moins dans l’immédiat ou disons dans un délai raisonnable.
Pendant ce temps, l’hydre continue son expansion et la tentation pour le coup d’Etat reste de mise. Au moment où se tenait cette rencontre à Bissau, la Gambie pays membre de l’organisation ouest africaine a essuyé une tentative de remise en cause de l’ordre constitutionnel par des militaires aventuriers.
OUMAROU KANE