Les pays du Sahel, en particulier le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont confrontés à une grave crise sécuritaire depuis déjà près d’une décennie. Le Mali qui constitue le foyer incontesté de cette crise a déjà perdu le contrôle d’une bonne partie de son territoire, alors que des milliers de ses ressortissants ont fait le choix de se réfugier au Niger pour leur sécurité. A la fin du mois d’Avril 2022, on estimait à 370. 548, le nombre de personnes déplacées internes, alors que plus de 60 000 autres sont réfugiées dans les régions de Tillabéri et Tahoua du Niger voisin depuis les premiers mois de l’année 2013.
Le Niger et le Burkina Faso, paient naturellement le prix de leur voisinage avec le Mali. Mais au vu du caractère disjoint des profils sécuritaires de ces trois pays, il y a lieu de s’y attarder pour tirer quelques enseignements. Dans le sillage de la recherche d’un trait d’union entre la militarisation du régime et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, deux coups d’Etats militaires s’étaient produits au Mali, notamment en Août 2020 et Mai 2021. C’est du moins ce que l’on puisse dire au regard de la justification à la fois classique et simpliste que la junte malienne avait donnée de son action.
Quand l’irruption de l’armée au pouvoir aggrave la situation sécuritaire
Et pourtant, l’arrivée des militaires au pouvoir au Mali, n’a encore rien changé à la situation sécuritaire de ce pays, sinon que comme nous le disions dans un de nos précédents articles, l’action des groupes armés y est aujourd’hui devenue pour le Mali ce que le glaucome est pour l’œil. Les groupes armés terroristes continuent encore leurs exactions sur les populations civiles et les attaques d’envergure sur des positions combattantes, mais le régime militaire du Colonel Goïta choisit le plus souvent le silence pour noyer ses faiblesses. Entre la fin du mois de Mars et le début du mois d’Avril 2022, les combattants du groupe terroriste EIGS (Etat Islamique au Grand Sahara) avaient tué plus de 700 personnes dans la seule localité de Ménaka, sans que le gouvernement n’y fasse la moindre allusion.
Au Burkina Faso, le régime du président démocratiquement élu Rock Marc Christian Kaboré avait fait face à des manifestations s’appuyant sur l’attaque de la garnison d’Inata, le 14 Novembre 2021 par les djihadistes d’Ansarul Islam dans la province du Soum, au Nord du pays, qui tua 53 militaires et 4 civils. Les protestataires réclamaient le départ du président Kaboré dont ils dénonçaient l’incapacité du régime à lutter efficacement contre le terrorisme. La démission du Premier ministre Christophe Dabiré n’avait pas permis d’améliorer la situation et le 23 Janvier 2022 une mutinerie de soldats demandant le limogeage du Chef d’Etat-major se transforme en putsch le 24 avec l’arrestation et le renversement du président Kaboré. Le Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba devint de fait, Chef de l’Etat.
Et comme pour justifier que la militarisation du régime n’était pas la solution à la question terroriste, le colonel Damiba lui-même avait assisté impuissant au pourrissement de la situation sécuritaire au pays des hommes intègres. Lui-même l’avait si bien reconnu qu’il n’avait pas hésité de faire recours à l’expérience de son voisin nigérien pour revisiter sa copie, en matière de stratégie de lutte contre le terrorisme. Mais l’impatience d’un jeune capitaine avait fini par avoir raison de son régime de transition seulement après seulement 8 mois de gestion, le 30 septembre 2022.
Le Capitaine Ibrahim Traoré qui le remplace ainsi à la tête du Burkina Faso disait d’entrée de jeu vouloir aller très vite. Et comme pour joindre l’acte à la parole, il effectua même une sortie sur le front. Mais à suivre de près l’évolution de la situation sécuritaire dans son pays, l’on est tenté de dire que le Capitaine avait juste choisi de commencer là où il devrait terminer. Sa sortie de terrain assortie d’une large publicité n’avait pas empêché au mal de s’étendre plus largement, au point que plus de 40% de son territoire restent encore sous l’emprise des terroristes.
Et la preuve qu’il faudrait plutôt loger le problème dans la stratégie globale plutôt que dans la nature du régime ou la seule réponse strictement armée, des 10 000 à 12 000 morts que le Burkina Faso a enregistrés dans cette guerre contre le terrorisme (selon les estimations de l’Observatoire de la Démocratie et des Droits de l’Homme (ODDH), une ONG burkinabè et de l’Armed Conflict Location and Events Data), 4 000 sont attribués à la seule année 2022, soit l’année de la gestion cumulée des deux officiers, qui se sont succédés depuis le départ du président Kaboré. Au sens statistique, cela revient à dire que les burkinabé meurent au moins trois à quatre fois plus vite que pendant le régime civil renversé en Janvier 2022, surtout quand on sait que les premières victimes du terrorisme au Burkina remontent à l’année 2015. Evidemment, de l’avis de plusieurs spécialistes des questions de sécurité, le Capitaine Traoré était d’avance allé dans le mauvais sens, dans la mesure où il semblait baser toute sa stratégie sur le seul engagement militaire sans tenir compte des conditions objectives qui poussent les jeunes et les moins jeunes à faire allégeance aux groupes armés et donc à renouveler sans cesse leurs effectifs. Et c’est bien cela qui rend possible la recrudescence des attaques meurtrières, malgré les efforts des armées nationales et qui rendent surtout mitigés ces mêmes efforts.
Une démocratie consolidée, une stratégie antiterroriste en constante adaptation aux réalités du terrain vers des solutions concertées et intégrées pour une paix durable !
Dans cette crise de l’option, seul le Niger de Mohamed Bazoum sort du lot. Le Niger, c’est d’abord 1. 267. 000 Km2, le pays le plus vaste de l’Afrique de l’Ouest et près de cinq fois plus large que le Burkina Faso, moins vaste que le département de Bilma, avec presque les mêmes chiffres de population que ses voisins malien et burkinabè. Avec une telle configuration, nous sommes tentés de dire comme l’adage populaire, que l’incendie s’est déclaré chez le tisserand plutôt que chez le forgeron. En effet, abordant les questions de défense et de sécurité des Etats, dans son livre De l’Esprit des Lois, le philosophe et penseur politique français Charles-Louis de Secondât, Baron de la Brède et de Montesquieu (1689-1755) montrait du doigt surtout la superficie et la faible densité de la population comme des facteurs défavorisants.
Montesquieu fondait son raisonnement sur le fait aussi simple qu’évident que l’ennemi ayant la possibilité d’apparaitre partout, il faudrait aussi que le défenseur puisse apparaitre partout, ce qui n’est pas évident pour un Etat possédant un vaste territoire avec une faible densité de la population. Et pourtant, c’est bien le Niger qui s’en sort au point d’être non seulement le seul à avoir le contrôle effectif de son territoire, mais aussi le seul qui continue d’accueillir les réfugiés de ses voisins qui craignent pour leurs vies. Avec un gouvernement démocratique qui a toujours su différencier ses approches dans la stratégie globale, le Niger de Bazoum continue d’accompagner dignement son armée dans cette épreuve, tout en assurant une large offensive à la base qui rend difficile le renouvellement des effectifs des groupes armés terroristes à partir des populations locales.
Le 25 Février 2022, le président Mohamed Bazoum tenait de façon solennelle un langage franc devant les représentants de toutes les couches sociales, au Centre International des Conférences Mahatma Gandhi de Niamey. A cette occasion le président exposait son engagement à prendre des dispositions qui rendraient difficile une attaque d’envergure contre nos positions combattantes. Après un an, ce n’est que rendre à César ce qui lui revient de droit, que de dire que cet engagement a été largement accompli. Les évènements enregistrés au cours de l’année 2022 et en ce début de l’année 2023 prouvent à suffisance, à la fois par les résultats que par le mode opératoire que le Niger a mis sur pieds une armée proactive que les groupes armés terroristes évitent désormais de croiser.
ASMANE SAADOU