Le bassin du lac Tchad connu depuis la période précoloniale de par le rayonnement de l’empire du Kanem-Bornu et la production du fer dans le Mont Mandara a été un centre d’intérêt pour l’empire Ottoman, tout comme pour les pays impérialistes occidentaux. L’Allemagne au Cameroun, la Grande Bretagne au Nigéria et la France au Niger et au Tchad se sont opposées à l’ambition territoriale de Rabah qui voulait se l’approprier.
Ce bassin qui est un centre de production de poissons de différentes variétés par excellence devient aussi un champ d’exploration de pétrole au début des années 2000. Cependant, depuis 2014, le groupe terrorisme jihadiste, Boko Haram qui est né au Nigéria étend ses activités vers les pays voisins de ce dernier.
Les activités du groupe islamiste Boko Haram, selon l’analyse géopolitique, couvrent l’étendue de l’Etat du Kanem/Bornu précolonial sous le règne d’Idris Alawma, et une partie du territoire de l’Etat Mandara, tel décrit par les spécialistes de l’histoire de ces Etats précoloniaux respectivement. Les attaques de Boko Haram au Nigeria s’étendent de Katagum dans l’Etat de Bauchi jusqu’à la frontière avec les Etats de Jigawa et de Kano. Kano étant un centre commercial et religieux a aussi connu des attaques. De Bauchi, frontière avec les zones géopolitiques de Nord-ouest et du Nord-central, les éléments de Boko Haram terrorisent les Etats de Gombé, de Yobé, de l’Adamawa et de Borno. Les territoires de Borno et de Yobé s’étendent jusqu’à la frontière du Niger, précisément les régions administratives de Diffa et de Zinder. Les citoyens nigériens sont en même temps des éléments et victimes de Boko Haram (BH). De la région de Diffa, les Boko haramistes accèdent au territoire tchadien à travers le Lac Tchad et les îles environnantes.
Le choix de Gwoza pour capitale de l’Etat Islamique de BH n’est pas un fait de hasard pour les leaders de la secte. La ville de Gwoza est bien fortifiée par le Mont Mandara et n’est accessible qu’après la traversée de la forêt de Sambisa. Le Mont Mandara s’étend de Gwoza Local Government jusqu’à la vallée de la Bénoué et y inclut les portions frontalières du Cameroun.
Au Cameroun, la région administrative de l’Extrême-Nord est particulièrement affectée. La ville de Mora, qui abrite le sultanat de Mandara et aussi le chef-lieu du département de Mayo-Sava est la cible de Shekau. Le Mayo-Tsanaga dont le chef-lieu est Mokolo enregistre aussi les attaques, surtout dans les zones rurales.
De la plaine de Kirawa au pied du Mont Mandara, les opérations de Boko Haram se propagent vers Waza au département de Logone et Chari, Kousseri, ville frontalière séparée de N’djamena par la rivière Logone et Chari. La région administrative tchadienne du Kanem, qui fait frontière avec le Cameroun n’est pas aussi épargnée.
La situation d’insécurité transnationale dans les pays concernés a nécessité la formation d’une Défense Collective. Le Niger qui occupe la présidence de la Commission du Bassin est chargé de piloter la mise en place de cette défense Collective Africaine par les Africaines. Le Président Mouhamadou Issoufou alors Chef d’Etat nigérien a déployé des efforts incroyables pour qu’une force régionale soit mise en place. Ce qui a permis à la force multinationale mixte (FMM) de voir le jour.
La Force Multinationale Mixte (FMM), comme son nom l’indique, est une armée supranationale composée des officiers et soldats de différentes nationalités. Toutes les troupes sont sous l’autorité d’un seul Etat-major et opèrent comme la force d’une même nation. Les territoires des Etats membres constituent son champ d’opération.
La Formation d’une Défense collective par les pays membres de la CBLT
L’instabilité politique au Tchad pendant des années et les conflits ethniques au Soudan ont favorisé la généralisation des activités criminelles dans le bassin du Lac Tchad. Des bandes puissamment armées opèrent d’un pays à un autre, sans poursuite de la part des forces de sécurité des Etats, du fait de l’absence d’accord spécifique garantissant le droit de poursuite et autres droits internationaux.
La multiplication et l’impact de ces activités criminelles transfrontalières ont nécessité et conduit à la mise en place d’une Force Multinationale Mixte (FMM). Organisée en des équipes mixtes de patrouille, la FMM surveille les différentes frontières partagées par les pays riverains du Lac Tchad.
La Mise en place d’une Force Multinationale Mixte
Les Etats membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) créent et rattachent au Secrétariat Exécutif de ladite Commission, la Force multinationale Mixte par une Décision du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, tenu à Abuja en 1994. Cependant, la mise en place de cette force avait été affectée et retardée par le conflit Nigéria-Cameroun, relatif à la possession de l’île de Bakassi. Le Cameroun protestant contre l’occupation d’une partie de son territoire national, l’île de Bakassi, au niveau de la Cour Internationale de Justice, refuse de participer à la formation de cette force sous-régionale.
A l’exception du Cameroun, les trois autres pays riverains, le Tchad, le Niger et le Nigéria contribuent par des soldats et des officiers des forces armées, des membres de la police ainsi que des civiles à la FMM. Le quartier général est établi à Baga-Kawar au Nigeria. Chaque Etat membre prend en charge les frais liés à sa représentation (Décision No.4 (2) du 10e Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, N’Djamena, 28 juillet 2000).
L’absence du contingent camerounais dans la FMM affecte les opérations de la celle-ci. Une bonne partie du bassin, surtout les frontières Cameroun -Tchad et Cameroun – Nigeria, n’est pas accessible à la force conjointe. Il a fallu attendre la prise de fonction d’un nouveau Secrétaire Exécutif (SE) en 2011 et surtout la détermination politique du Président Issoufou du Niger pour que tous les pays concernés soient représentés.
La redynamisation de la Force Multinationale Mixte
Voulant faire du projet du transfert des eaux du Bassin du Congo, précisément de l’Oubangui vers le Lac Tchad une réalité, dès sa prise de service en 2011, le secrétaire exécutif de la CBLT a misé sur la FMM pour assurer la sécurité des biens et des personnes impliquées dans le projet. Le transfert doit se faire à travers le territoire camerounais mais ce pays est absent de la FMM. Etant donné que le litige territorial entre le Cameroun et le Nigeria a connu sa fin, il fallait inciter le Cameroun à s’intégrer à la FMM par tous les moyens. Car les troupes des autres nations ne peuvent pas être déployées sur son territoire.
Travaillant conjointement avec les pays membres et surtout grâce au soutien du président du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, le président Issoufou Mahamadou de la République du Niger, le secrétaire exécutif réussit à redynamiser la force multinationale mixte en amenant le Cameroun à y prendre part en 2012.
L’engagement de la FMM dans la lutte contre Boko Haram
L’engagement de la FMM dans la lutte contre Boko Haram a pris naissance après l’enlèvement de plus de 270 lycéennes de Chibok par Boko Haram dans la nuit du 14 au 15 avril, 2014. Le Sommet d’Abuja a approuvé le déploiement immédiat de l’Etat-major de la FMM à N’Djamena, au Tchad et le Secrétariat Exécutif de la CBLT comme quartier général de la mission. Le Secrétaire Exécutif faisant office de Chef de mission. Une somme de trente millions (US$30.000.000) de dollars a été approuvée pour l’installation et la dotation en équipements du Quartier Général.
Le Nigeria a promis une contribution de 100 millions de dollars américains. A cet effet, il a été décidé le déploiement immédiat des contingents nationaux de la FMM, sous le commandement opérationnel du Commandant de la FMM appuyé par les Etats-majors des pays respectifs. Toutes les forces sont sous le commandement d’un quartier général qui est à N’Djamena au Tchad. Le commandant de ces forces ainsi que le chef de mission sont aussi à N’Djamena. Au niveau du quartier général, le personnel provient de chaque pays membre dont 95 officiers et soldats. Le personnel de la Commission soutient le Bureau de chef de mission en cas de besoin, en termes de logistique et de gestion.
Les troupes béninoises, loin de leur territoire national, et dont la présence est justifiée par le renforcement de la coopération militaire, sont déployées pour assurer des taches relatives à la garnison. Autrement dit, elles ne sont pas directement impliquées dans les combats avec Boko Haram mais plutôt assurent la protection des sites militaires et l’escorte des ravitaillements.
Sur le plan opérationnel, la FMM fonctionne en synergie avec les Forces armées Nigérianes engagées dans la lutte contre Boko Haram, sous l’Opération Lafiya Dole (OPLD). La 7e Division de l’Armée nigériane a pour mandat l’élimination du groupe terroriste Boko Haram. Créée le 19 août 2013 en remplacement de Joint Task Force, formée par l’armée de terre, l’armée de l’air, la marine, la police et les services de renseignements, la 7e Division à son quartier général à Maiduguri, le point de départ de Boko Haram. La 8e Division est créée en 2016 dans le cadre de l’opération Lafiya dolé (OPLD). Cette nouvelle division a pour objectif, le délogement des éléments de Boko Haram dans les îles et aux environs de Lac. Une base de la Marine est aussi établie avec les mêmes objectifs.
La force multinationale mixte de son côté reçoit aussi l’appui des forces aériennes nigérienne, tchadienne et camerounaise. Il est évident que le succès enregistré par la FMM provient de l’Opération Lafiya Dole et que la victoire de celle-ci n’a été possible que par l’appui de la FMM. Si l’OPLD n’avait pas l’assistance de la FMM, sa lutte contre Boko Haram ne serait pas efficace. Inversement, si la FMM n’avait pas l’appui de l’OPLD, riche en ressources humaines et matérielles, elle ne serait pas non plus opérationnelle. C’est la complémentarité des efforts entre la FMM et l’OPLD qui a permis d’enregistrer des résultats substantiels dans la lutte contre le groupe Boko Haram aussi bien sur leur territoire d’origine que dans le bassin du Lac Tchad, en général.
Le succès de la FMM conduit certains pays membres des organisations régionales à confier des tâches sécuritaires aux organisations qui n’ont aucune compétence dans le domaine. C’est le cas de l’Autorité de Bassin de Liptako-Gourma (ALG) qui regroupe le Niger, le Burkina Faso et la République du Bénin. La 2ème Session Extraordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat de l’ALG tenue à Niamey, en janvier 2017 a décidé d’étendre la mission de développement de l’Organisation à la sécurité avec la création d’une force multinationale de sécurisation du Liptako-Gourma. La Force de Liptako-Gourma connue sous l’appellation de G3 est toujours un projet à concrétiser. Deux pays membres en l’occurrence le Niger et le Burkina n’ont pas hésité à se rallier à leurs voisins pour encore former une nouvelle défense collective dans le Sahel. Un groupement de 5 pays, le Burkina, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, est mis en place sous l’appellation du G5 Sahel.
Le quotidien Mourya, LA VOIX DU NIGER entend vous éclairer à l’avenir sur la formation des systèmes de défenses collectives en Afrique, en y incluant celle du G5 Sahel, en obsolescence.
Dr. Mohammed D. UMATE
Spécialiste des Relations Internationales