Jeune Afrique : Face à un ennemi qui vous est commun, vos voisins burkinabè ont choisi la solution de la levée en masse de volontaires civils, les VDP [volontaires pour la défense de la patrie], pour épauler l’armée. Cette stratégie vous paraît-elle fonctionnelle?
Mohamed Bazoum : Si c’était la solution, nous l’aurions choisie nous aussi. Mais cela n’est pas le cas. Peu après son arrivée au pouvoir à Ouagadougou, le capitaine Ibrahim Traoré a dépêché auprès de moi son chef d’état-major particulier. Je lui ai dit ceci : « Vous et nous avons une vraie divergence sur ce point, pour une raison très simple.
Notre Conseil National de sécurité est composé de civils et de militaires qui ont plus de 60 ans en moyenne. Les officiers généraux qui en sont membres étaient lieutenants ou capitaines en 1990, lors de la première rébellion touarègue au Niger. Ils étaient colonels lors de la seconde rébellion, en 2007. Huit ans plus tard, en 2015, les mêmes étaient colonels-majors ou déjà généraux lors des attaques de Boko Haram.
Les civils qui participent à ce conseil, dont moi-même, sont de cette génération et ont été les témoins de toutes ces expériences, sur la base desquelles nous fondons nos analyses, identifions nos objectifs et définissons les moyens de les atteindre. Même si je crains que vous ne puissiez changer, tant vous avez radicalisé cette option, je tiens à vous dire que toutes nos constatations indiquent clairement que les VDP ne sont pas la solution. Le président Issoufou avait déjà mis en garde son homologue, Roch Marc Christian Kaboré, et je l’ai redit au successeur de ce dernier, le lieutenant-colonel Damiba : si les terroristes sont plus forts et plus aguerris que l’armée, comment des civils pourraient-ils leur résister ?
Distribuer des armes à des civils est une erreur tragique, qui expose à deux types de risques : celui d’en faire des proies faciles pour les terroristes, de la chair à canon en quelque sorte, et celui de voir se multiplier les abus et exactions, car nul ne contrôle la moralité et le comportement de gens recrutés à la hâte et lâchés dans la nature. C’est hélas exactement ce qui se passe.”