Le président de la République, son excellence Mohamed Bazoum, déclarait le 27 septembre 2021, lors de l’ouverture de la session du Conseil Supérieur de la Magistrature : « la justice est au cœur du projet que j’ai proposé aux nigériens, parce que j’ai pleinement conscience que le respect du droit, de l’équité et de toutes les valeurs de la démocratie n’est possible que lorsqu’il y a une justice de qualité, efficace, équitable et accessible aux citoyens, tout en étant le moteur de la promotion de la culture de la transparence et du respect scrupuleux du bien public ».
Le Premier ministre, Chef du Gouvernement, lors de la Déclaration de Politique Générale du Gouvernement, le 06 mai 2021 devant la représentation nationale, a soulignait que « la justice, l’équité et les droits humains constituent également un pilier fondamental pour la construction de l’Etat de droit et la consolidation des Institutions démocratiques et républicaines ».
Il ajoutait, en substance, que l’action gouvernementale visera principalement l’amélioration de la qualité de notre système judiciaire afin qu’il soit plus équitable et accessible à tous, à travers la définition claire des délais légaux de traitement des affaires judiciaires en toutes matières et le renforcement du dispositif juridique et institutionnel de suivi de la performance des acteurs judiciaires.
Le Plan de Développement Economique et Social 2017-2021 a relevé que les principales contraintes qui entravent le secteur judiciaire sont :
- l’insuffisance du personnel judiciaire ;
- l’insuffisance du cadre juridique ;
- la non application des textes ;
- la lenteur judiciaire entraînant notamment la surpopulation carcérale ; l’insuffisance des financements et l’absence d’un système transparent de gestion ;
- la faible couverture nationale en juridiction d’instance ;
- l’insuffisance des cours d’appels et la non opérationnalisation de certains tribunaux d’instance ; les difficultés de mise en œuvre des décisions de justice.
Concernant spécifiquement le milieu carcéral, malgré tous les efforts entrepris par le Gouvernement et ses partenaires, force est de constater aujourd’hui que les établissements pénitentiaires du Niger restent surpeuplés. Le Document de Politique Pénitentiaire adopté en 2020, reconnait cette situation qu’il qualifie lui-même de fléau en relevant que« la maison d’arrêt de Niamey affiche un taux d’occupation de 337% et plus de 100% pour les autres établissements ».
En effet d’après l’annuaire statistique du Ministère de la Justice publié en 2020, les 41 établissements pénitentiaires du Niger affichaient au 30 décembre les pourcentages des prévenus (toutes catégories de détenus non jugés) suivants :
- 59,81% en 2015 ;
- 63,32% en2016 ;
- 54,86 % en 2017 ;
- 59,79 % en 2018 ;
- 53,39 % en 2019 ;
A la même date la maison d’arrêt de Niamey dont l’effectif à elle seule représentait plus de 10% de l’effectif total (prévenus et condamnés) de tous les établissements pénitentiaires du Niger, enregistrait comme prévenus :
- 67,35% en 2015 ;
- 70,55% en 2016 ;
- 69,71% en 2017 ;
- 70,41% en 2018 ;
- 72,57% en 2019.
La maison d’arrêt de Niamey conçue depuis la période coloniale pour une capacité théorique de 445 détenus, affiche régulièrement depuis plusieurs années un minimum de 1500 détenus chaque mois. Au 30 septembre 2021, elle abritait selon ses responsables, 1614 détenus dont 1440 prévenus et seulement 174 condamnés. A la même date celle de Koutoukalé ayant une capacité d’accueil de 250 places, accueillait 442 pensionnaires dont 337 prévenus et 105 condamnés.
Cette surpopulation généralisée et surtout le taux très élevé des détenus non jugés, doit interpeller nos consciences et nous amener à réfléchir sur les voies et moyens à même d’y remédier. Il se ressort de toutes les études menées dans ce domaine, que la surpopulation a pour conséquences entre autres de : rendre vains tous les efforts du gouvernement dans le cadre de d’humanisation et de la réinsertion de détenus, en raison de la surconsommation des ressources humaines, matérielles et financières qu’elle engendre ; favoriser la récidive, la radicalisation, les maladies et la violence sous toutes ses formes.
Les principales causes de cette surpopulation que nous avons relevées, sont relatives à la propension de certains magistrats à décerner systématiquement des titres de détention, faisant de celle-ci la règle alors qu’elle devait rester l’exception conformément à l’article 131 du Code de procédure pénale ; au non-respect du principe de la présomption d’innocence ; à la durée relativement longue de la détention provisoire et son non-respect par certains magistrats ; à l’absence de voie de recours de l’inculpé en cas de placement en détention provisoire ; à l’inexistence d’un délai pour juger les personnes renvoyées devant une juridiction.
La présente proposition de loi a pour objectif de pallier les insuffisances ci-dessus constatées en réduisant la durée de la détention provisoire avec désormais des sanctions pénales et/ou disciplinaires en cas de non-respect. En effet il a été constaté que dans la pratique certains magistrats omettent de renouveler les titres de détention ou maintiennent en détention des détenus ayant épuisé toute la durée légale de détention.
Le fait de raccourcir ces délais et surtout de prévoir une sanction en cas de non-respect contribuera à réduire fortement le nombre de prévenus en détention. Les délais actuellement en vigueur fixés depuis 2003, tenaient compte des moyens d’investigation et de recherche de la vérité disponibles à l’époque, et donc ne se justifient plus au regard du niveau de développement très poussé des nouvelles technologies de l’information et de la communication permettant de nos jours d’aboutir plus rapidement à la manifestation de la vérité.
La réduction des délais de détention préventive que nous proposons, ne s’applique cependant pas aux infractions graves comme le terrorisme, le détournement des deniers publics, le meurtre, l’assassinat, le parricide, l’empoisonnement ainsi qu’aux vols criminels et aux détournements de deniers publics qui restent régis par les anciennes dispositions du code de procédure pénale et des textes spécifiques.
La proposition de loi accorde également le droit à l’inculpé d’interjeter appel de l’ordonnance le plaçant en détention provisoire. En effet si la loi a prévu limitativement des conditions justifiant le placement en détention provisoire, c’est précisément pour encadrer les motivations du juge et donc permettre à l’inculpé d’avoir la possibilité d’user de voie de recours lorsqu’il estime que les motifs de son placement ne sont pas fondés. En l’état actuel de la législation, seul le procureur de la République est en droit de contester cette ordonnance initiale et cela crée un déséquilibre et une inéquité notoires entre les parties au procès.
La proposition de loi institue aussi un délai pour juger les personnes renvoyées devant une juridiction de jugement. En effet dans la législation actuelle, aucun délai n’est imparti au parquet pour fixer une date de jugement d’une affaire et aucun délai non plus n’est imposé à la juridiction pour la juger. C’est pourquoi nous avons constaté dans nos établissements pénitentiaires, la présence d’un grand nombre de détenus en attente de jugement dont certains depuis plusieurs années alors même que l’instruction de leurs dossiers est terminée.
La révision de l’article 404 vise ainsi à fixer un délai maximum de8 et 15 mois y compris avec tous les renvois éventuels, pour juger le prévenu correctionnel ou criminel détenu, faute de quoi il sera mis en liberté d’office en attendant son jugement.
Maintenir des personnes aussi longtemps en prison crée à leur égard une présomption de culpabilité alors même que l’article 20 de la Constitution déclare explicitement que « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public durant lequel toutes les garanties nécessaires à sa libre défense lui auront été assurées ».
Enfin, notre proposition de loi vise à restituer toute sa portée, au principe suivant sacro-saint en procédure pénale : « la liberté est la règle et la détention l’exception ». L’adoption de cette proposition réduira sans nul doute la surpopulation carcérale et ce faisant donnera l’opportunité au Ministère de la justice de réorienter la part importante de son budget déjà maigre, consacrée actuellement à l’administration pénitentiaire, vers d’autres rubriques visant l’amélioration des conditions de travail des juridictions.
La hausse significative du budget de la justice (passant de 13,02 milliards en 2021 à 19,24 milliards en 2022) annoncée par le Président de la République le 27 septembre 2021 lors de la session du Conseil Supérieur de la Magistrature contribuera sans doute considérablement à l’amélioration des moyens humains et matériels des juridictions et favorisera ainsi l’accélération du délai des traitements des dossiers des prévenus.
C’est pour toutes ces raisons que nous proposons la modification des articles 130, 131,132, 132.1, 135, 178, 186, et 404 du Code de Procédure Pénale. Toutes les modifications proposées sont en harmonie avec les autres dispositions du Code de procédure pénale car nous avons pris en compte les observations de toutes les parties prenantes entendues par la CAGI lors du dépôt de notre précédente proposition de loi.
Au vu de tout ce qui précède et compte tenu de l’urgence car s’agissant de la liberté des personnes, cette modification ne saurait attendre la refonte annoncée par le Ministère de la Justice, refonte pour laquelle ce ministère n’a d’ailleurs pas pu donner un horizon temporel lors de son audition par la CAGI le 28 octobre 2021.
Telle est l’économie de la présente proposition de loi.
Député national IBRAHIM HALIFA ABDOURAMANE