DÉCRYPTAGE – Refusant l’option militaire, Washington semble envisager de prendre langue avec les auteurs du coup d’État.
Niamey (Niger)
«Avec des alliés comme ça, on n’a pas besoin d’ennemis», glisse-t-on à Paris. Au Quai d’Orsay, comme à la présidence française, les choix diplomatiques américains au Niger passent mal. Les États-Unis se sont montrés très présents depuis la crise au Niger[2]. Trop présents même, quand la numéro trois de la diplomatie américaine, Victoria Nuland, s’est assise à la table des putschistes le 7 août dernier. «Ils ont fait tout le contraire de ce qu’on pensait qu’ils feraient», poursuit-on.
Depuis le début des événements, la France tient une ligne claire et sans tergiversation: celle du rétablissement de Mohamed Bazoum à la présidence.
«C’était le coup de trop, ajoute un diplomate à Paris. Pour Emmanuel Macron, la crédibilité de la France, notamment en termes de discours sur la démocratie, était en jeu. Pour les Américains, même s’ils sont aussi préoccupés par un retour rapide à l’ordre constitutionnel, la priorité, c’est la stabilité de la région», poursuit-il. Comme l’Union européenne ou l’Union Africaine, la France a soutenu la décision de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) quand celle-ci a annoncé le 10 août mobiliser une «force en attente», préalable possible à une opération militaire. De leur côté, les Américains ont rapidement condamné une option militaire: «Il n’y a pas de solution militaire acceptable», déclarait Antony Blinken, le chef de la démocratie
américaine. Les États-Unis, ont doucement cessé de demander le rétablissement du président déchu, se focalisant sur sa libération et ses conditions de détention.
Victoria Nuland – célèbre en Europe pour son «Fuck the EU» prononcé en Ukraine en 2014 – avait préalablement conditionné sa venue à une rencontre avec le président Bazoum. Le refus des putschistes n’a finalement pas entravé sa visite. L’arrivée prochaine au Niger de l’ambassadrice Kathleen Fitzgibbon, dont la nomination a été validée le 27 juillet 2023 – le lendemain du coup d’État après un an et demi de vacance du poste, n’a rien arrangé. «C’est quasiment une reconnaissance officielle!», juge un observateur.
Installation stratégique
« L’objectif des Américains est simple: conserver leurs bases», explique un diplomate français en poste à Paris. «Si pour cela il faut tirer un trait sur le retour à la légalité constitutionnelle, ils n’hésiteront pas. Les militaires nigériens ne poseront probablement pas de problème d’ailleurs: ils savent que sans les capacités de surveillance américaines, tous leurs efforts pour combattre les djihadistes sont vains», poursuit-il.
Les États-Unis disposent d’un contingent relativement important au Niger.
Quelque 1300 soldats sont répartis entre leurs bases de Niamey et celle d’Agadez, dans le nord du pays. C’est cette installation qui est véritablement stratégique aux yeux du Pentagone américain. Située au cœur de ce que les militaires appellent la «bande sahélo-saharienne», cette base est la piste de décollage de leurs drones, le centre névralgique de leurs capacités de surveillance dans toute la région, notamment en Libye.
Les États-Unis pensaient disposer d’un atout de taille auprès des putschistes en la personne du général Barmou, «our guy» («notre gars», en anglais), disaient les militaires américains, pour faire référence à l’ancien commandant des forces spéciales devenu chef d’état-major de l’armée. Formé par les États-Unis, il avait conservé une grande proximité avec eux. C’est d’ailleurs cet officier que Victoria Nuland a rencontré lors de son passage à Niamey. En dépit des canaux de discussion existant, tout laisse croire que pour l’heure, leurs « gars» n’ait pas montré de signe particulier de bonne volonté à l’égard de ses anciens formateurs.
Bouc émissaire
Reste que pour l’heure, aucune remise en question des accords de défense américains n’a été évoquée par les autorités de Niamey, quand bien même la rue a plusieurs fois demandé le départ de «toutes les forces étrangères du Niger». Bien que la France et les États-Unis entretiennent des contingents de taille relativement similaire au Sahel, l’essentiel de l’animosité à l’égard des forces étrangères se dirige à l’endroit de la France. « Les États-Unis, comme nos autres alliés d’ailleurs, ont l’habitude de nous laisser prendre les coups», poursuit-on au Quai d’Orsay. Notamment du fait de son passé colonial, et de la mauvaise publicité charriée par l’opération Barkhane (terminée aujourd’hui), la France a été désignée très tôt par les autorités militaires comme le bouc émissaire des défaillances économiques et sécuritaires du pays, comme elle l’avait été au Mali et au Burkina Faso voisins.
De fait, Paris n’a rien à attendre des nouvelles autorités. «Jusqu’à la crise, les États-Unis ont toujours privilégié leur relation avec la France par rapport à leurs intérêts stratégiques au Sahel, parce que la France leur était plus utile sur des sujets plus stratégiques, comme l’Iran[11], la Russie ou la Chine», explique Michael Shurkin, chercheur associé à l’Atlantic Council. Mais «la France est devenue radioactive, sa position est intenable, poursuit le chercheur. Dans ce contexte, les États-Unis savent ce qu’ils peuvent sauver, ils savent qu’ils ont tout à perdre à trop s’aligner sur les Français», analyse-t-il.
Les Américains ne sont pas les seuls à se démarquer de la ligne française. Pour l’heure, aucun des alliés de la France présents au Niger – l’Allemagne, la Belgique, l’Italie – n’a remis en question la légitimité des exigences des autorités militaires nigériennes, notamment quand ils demandent le départ des troupes françaises. En Europe aussi, chacun joue sa partition en fonction de ses intérêts. L’Allemagne a besoin du Niger pour assurer le retrait de ses troupes du Mali. Quant à l’Italie, présente elle aussi militairement dans le pays, elle se préoccupe davantage de la stabilité à tout prix du pays, pour éviter une nouvelle crise migratoire. Le Niger, à ses yeux, est essentiellement l’un des verrous des couloirs de migration subsaharienne.
STANISLAS POYET
Le Figaro.fr: – https://www.lefigaro.fr/international/apres-le-putsch-au-niger-la-france-craint-d-etre-doublee-par-son-allie-americain-20230813