Africa Intelligence : Instrument de déstabilisation du continent africain ?

Journal français par abonnement spécialisé dans l’actualité politique et économique de l’Afrique, Africa Intelligence se targue d’être un média indépendant et rigoureux, mais de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer certaines pratiques observées, l’assimilant à un instrument de propagande et de manipulation au profit d’intérêts obscurs.

Récemment, le journal a été épinglé par une enquête du New Yorker, qui a révélé son implication dans une affaire de diffamation à grande échelle contre un homme d’affaires américain, Hazim Nada, fondateur d’une société de négoce de matières premières, Lord Energy. Selon le New Yorker, Africa Intelligence a participé à une campagne de désinformation orchestrée par les Émirats arabes unis, qui voulaient nuire à Nada en raison de son lien familial avec son père, Youssef Nada, un ancien membre des Frères musulmans.

Africa Intelligence a ainsi publié plusieurs articles mensongers sur Nada et sa société, en les accusant de liens avec les Frères musulmans, le Qatar et la Turquie, les ennemis régionaux des Émirats arabes unis. Il a relayé les rumeurs lancées par une société privée de renseignement basée à Londres, Hakluyt, qui a été engagée par le prince héritier des Émirats arabes unis, Mohammed bin Zayed Al Nahyan, dit MBZ. Le journal aurait contacté les clients et les partenaires de Nada et sa société pour les dissuader de faire affaire avec eux. Il a collaboré avec Hakluyt pour obtenir des informations confidentielles sur Nada et sa société.

La campagne de diffamation a duré plus de deux ans et a eu des conséquences désastreuses pour Nada et sa société. Il a perdu des contrats importants, ses comptes bancaires ont été fermés, sa société a dû cesser ses activités, sa famille a été harcelée et menacée, et sa santé mentale a été affectée.

La vérité sur la campagne de diffamation n’a été révélée qu’en 2019, lorsque des hackers anonymes ont contacté Nada et lui ont fourni des téraoctets de fichiers provenant des serveurs internes de Hakluyt. Ces fichiers contenaient des preuves accablantes du rôle de MBZ et de Hakluyt dans la destruction de Nada et de sa société. Nada a décidé de porter plainte contre MBZ, Hakluyt et plusieurs autres personnes impliquées dans la campagne devant un tribunal fédéral américain en 2020.

Cette affaire est seulement la dernière d’une longue série de scandales impliquant Africa Intelligence. Le journal est aussi accusé d’avoir rédigé des articles sur commande pour salir la réputation d’autres personnes ou organisations. Il a par exemple attaqué le groupe Africa 24, premier éditeur de TV en Afrique, en publiant deux articles intitulés « L’histoire secrète derrière la chute de la Chaîne Africa 24 », illustrés par une photo de M. Constant Nemale et le logo officiel d’Africa 24. Le groupe Africa 24 a par la suite dénoncé des erreurs factuelles et des attaques médiatiques multiples visant à nuire à son image et à son indépendance.

Africa Intelligence a également ciblé l’association Mahoro Peace Association (MPA), une organisation humanitaire basée aux États-Unis qui regroupe des membres de la diaspora Banyamulenge et qui fournit de l’aide aux réfugiés du Sud-Kivu en République démocratique du Congo. Le journal l’a accusé de soutenir financièrement une milice armée Banyamulenge, la Twigwaneho, dirigée par Michel Rukunda alias Makanika. L’association dément ces allégations et affirme qu’elle n’a aucun lien avec la Twigwaneho ni avec Makanika. Elle affirme qu’elle est victime d’une campagne de diffamation orchestrée par les ennemis des Banyamulenge, qui sont persécutés et menacés de génocide.

Cependant, Africa Intelligence n’en est peut être qu’au début de ses ennuis. Le journal français  « Le Monde », le Washington Post et une vingtaine d’autres rédactions, partenaires du collectif Forbidden Stories ont enquêté durant plusieurs mois sur les opérations d’influence, de campagnes de désinformation, de dénigrement et de manipulation de l’information élaborés par des sociétés commerciales spécialisées dans la diffusion de fausses informations à l’image d’Africa Intelligence, dont le nom revient à plusieurs reprises dans cette enquête intitulée “Story Killers”.

Dans “Story Killers: inside the deadly disinformation-for-hire industry”, Africa Intelligence fait partie des médias utilisés par une société britannique nommée Chelgate dans le but de mener une campagne de désinformation contre Jorge Glas, l’ancien Vice-Président de l’Équateur.

L’article affirme que Chelgate et Africa Intelligence ont été engagés par Chevron, le géant pétrolier américain, pour discréditer l’ancien Vice Président Glas et le gouvernement équatorien, qui soutenaient une action en justice contre Chevron pour avoir pollué l’Amazonie. Chelgate a créé et diffusé des fausses informations sur Glas et ses liens supposés avec Odebrecht, une entreprise brésilienne impliquée dans un vaste scandale de corruption en Amérique latine.

L’article cite notamment un exemple où Chelgate a envoyé à Africa Intelligence un faux document prétendant que Glas avait reçu des pots-de-vin d’Odebrecht, et que Africa Intelligence l’a publié sans vérification. Chelgate, Africa Intelligence et d’autres sociétés similaires offrent donc des services de désinformation à des clients privés ou publics, en utilisant des techniques sophistiquées comme le hacking, le phishing, la création de faux comptes sur les réseaux sociaux ou la manipulation de journalistes.

D’après les investigations en cours, Africa Intelligence semble être au service d’intérêts obscurs dont l’objectif serait de déstabiliser plusieurs pays, notamment africains afin de saper leurs efforts de développement.

La rédaction du journal fait actuellement l’objet de plaintes multiples, poursuivie par plusieurs de ses victimes, qui réclament justice et réparation. Le journal piloté par Philippe Vasset et Quentin Botbol serait-il entrain de vivre ses derniers jours?

FRANÇOIS BACHELET

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Author: Mourya Niger